Les casse-croûte se comptent par milliers au Québec et font parfois des affaires d'or. Encore faut-il y mettre du temps, beaucoup d'effort et avoir un peu de chance. Des restaurateurs à succès nous livrent leur recette.

Lorsque l'économie tourne au ralenti, la restauration rapide connaît de beaux jours. Mais il existe au Québec une catégorie d'établissements qui, depuis des décennies, fait fi des cycles économiques, des modes, des préjugés, du mouvement anti-malbouffe, voire de la concurrence étrangère. Il s'agit des cantines, ces casse-croûte qu'on retrouve aux quatre coins de la Belle Province et dont la popularité ne se dément pas.

Chez Henri (aussi connu sous le sobriquet «Henri la Patate») est une institution à Joliette. Cette ancienne «roulotte à patates» ne craint pas la concurrence. Le Burger King qui a élu domicile à deux pas de Chez Henri a fermé ses portes deux ans après son ouverture en 2007. Et le McDonald qui est venu s'établir il y a 30 ans de l'autre côté de la rue n'a quant à lui aucunement affecté les recettes de ce qui est aujourd'hui un restaurant à part entière, mais qui a néanmoins conservé une « section cantine ».

«C'est plutôt le contraire qui s'est passé; quand McDo est arrivé dans les années 1980, on a délaissé la roulotte et on a emprunté 300 000 $ pour se construire une vraie bâtisse. Les gens nous ont dit 'vous êtes fous?» Chaque fois qu'une nouvelle franchise arrive dans le coin, ça nous amène plus de monde. C'est bizarre, hein», explique Christiane Majeau, 72 ans.

La mère de cinq garçons, dont trois travaillent avec elle, a co-fondé l'entreprise il y a 54 ans avec son époux Henri, décédé en 2002. Employant seulement deux personnes en 1957, Chez Henri, qui est ouvert 24 heures, compte aujourd'hui 111 employés, dont 70 à plein temps.

Qu'est ce qui explique le succès de ces casse-croûte? «Ça rappelle des souvenirs d'enfance. C'est dans l'imagerie populaire depuis longtemps. Il y a donc beaucoup de nostalgie autour de ça. Une bonne patate graisseuse, ça va toujours marcher», explique François Meunier, de l'Association des restaurateurs du Québec (ARQ). Selon lui, il existe entre 2000 et 3000 casse-croûte au Québec.

Mais impossible de savoir le genre de retombées que peut avoir ce type d'établissement dans l'économie du Québec. Ni le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ), ni l'ARQ ne tiennent de statistiques à cet égard.

Une chose est cependant claire: les cantines font des heureux. Christiane Majeau, de Chez Henri, dit utiliser entre 1500 et 2000 kg de pommes de terre et près de 500 kg de fromage en grains par semaine. «Mes fournisseurs sont très contents de faire affaire avec moi», dit-elle.

Une institution à Granby

Chez Ben On s'bourre la bédaine, à Granby, il se vend tellement de frites quotidiennement qu'un employé est affecté uniquement à l'épluchage des pommes de terres. Fondée il y a plus de 50 ans, cette cantine, reconnue pour sa célèbre affiche rétro en néon qui fait près de 10 mètres de haut, a encore rendez-vous avec la croissance.

«Mon frère et moi, on pensait avoir atteint un plafond, mais depuis quelques années, on est passé à la télé, dans des revues alternatives, etc. Et ça, ça attire le monde. Dans la tête de bien des visiteurs, à Granby, il y a le Zoo et il y a Chez Ben», dit sans prétention Bernard Dubé Jr, copropriétaire avec son frère François.

La cantine granbyenne, qui compte désormais une cinquantaine de places assises, une terrasse extérieure, de même qu'un bar laitier (bref, le lot des «grosses cantines»), est tellement prospère (Ben Dubé Jr préfère taire son chiffre d'affaires) que des investisseurs ont voulu créer des franchises de Ben la bédaine partout au Québec. Ce que les frères Dubé ont illico décliné.

Ce qui étonne aussi, c'est l'attachement des Québécois pour le menu traditionnel de la cantine. L'Homo Quebecensis qui fréquente l'endroit ne semble pas très ouvert aux changements. Comme quoi, la frite, la poutine et le cheeseburger sont encore des valeurs sûres, malgré notamment le mouvement anti-malbouffe.

«J'ai essayé d'introduire des croissants et des chocolatines au déjeuner, mais oublie ça. Et j'ai voulu offrir un club sandwich au thon pour que ce soit un peu plus santé. Mais là encore, personne n'en voulait», dit Michel Penasse, copropriétaire de la cantine Chez Roger à Farnham.

Pour cet ancien chef cuisinier qui a également été pâtissier et boulanger, les cantines tirent leur épingle du jeu parce qu'elles servent «de la nourriture qui se rapproche de ce que les gens se font à la maison». «Nous utilisons du boeuf haché et des pommes de terre fraîches. Il n'y a que les Pogos qui sont surgelés. Les gens nous comparent à McDonald's ou Burger King alors qu'il n'en est rien», dit celui qui, à l'instar de ses pairs, dit offrir la «meilleure poutine».

Cela dit, même si le concept de la cantine, où tout le monde se connaît et s'appelle par son prénom, demeure extrêmement populaire, il ne faut rien tenir pour acquis. Le propriétaire de Chez Roger, dont l'entreprise a été fondée par Roger Chevalier en 1945, refuse de plastronner.

Michel Penasse ne s'en cache d'ailleurs pas: l'arrivée à Farnham, d'un McDonald's, ou d'une franchise La Belle Province, lui fait peur. «Le nom de McDo est fait à cause du marketing. Surtout auprès de la clientèle plus jeune. On ne peut pas se battre contre ça. Ça nous ferait mal s'ils venaient s'établir ici», dit-il.