Couche-Tard (T.ATD.B), qui vient d'acheter 322 dépanneurs de la pétrolière ExxonMobil en Californie, refusait jusqu'à hier de faire les investissements exigés par la CSST au Québec pour protéger ses commis contre les agressions dans une dizaine de ses commerces.

La Presse Affaires a appris que la Commission de la santé et sécurité du travail du Québec (CSST) a envoyé une trentaine d'avis d'infraction à la chaîne de dépanneurs de Laval, la totalité en raison de dérogations en lien avec le risque d'agression en situation de travail isolé. Les amendes varient entre 500$ et 1000$ par infraction.

Couche-Tard a contesté l'ensemble des avis d'infraction. La Commission des lésions professionnelles, le tribunal chargé de trancher les litiges en la matière, n'a pas commencé à entendre les causes. La CSST et Couche-Tard sont à négocier une entente à l'amiable.

«On accompagne et on discute avec les représentants de Couche-Tard, dit Jacques Nadeau, porte-parole de la CSST. Dans un proche avenir, on devrait avoir une solution qui réponde à nos avis de dérogation. Même si on a une entente, ça ne veut pas dire que les constats d'infraction seront nécessairement retirés ni que les amendes ne seront pas payées.»

À 17h hier, la porte-parole de Couche-Tard, Denise Deveau, nous rappelait pour annoncer qu'une entente était intervenue avec la CSST sans pouvoir nous donner de détail. Une information que n'a pas pu confirmer la CSST avant de mettre sous presse.

Un établissement dangereux

Ce dénouement tardif survient deux ans après que l'organisme chargé de veiller à la santé et sécurité des travailleurs a envoyé un avis demandant à Couche-Tard d'installer une barrière physique entre la caisse et les clients au dépanneur du 3985, rue Beaubien Est, près du boulevard Pie-IX. Une telle barrière peut prendre la forme d'une vitre blindée entourant l'ensemble de l'espace réservé au commis, créant ainsi une zone sécurisée.

En 2007 et 2008, cet établissement a connu 20 événements auxquels était associé un risque d'agression du travailleur et qui avaient nécessité un appel à la police. La liste des événements apparaît dans un rapport d'intervention de la CSST daté du 4 mai 2009. Les différents rapports d'intervention ont été obtenus grâce à la loi d'accès à l'information par la Confédération des syndicats nationaux, qui les a acheminés à La Presse Affaires.

La CSN a entrepris une campagne de syndicalisation des employés des dépanneurs Couche-Tard. La négociation de la première convention collective au dépanneur 2500, rue Jean-Talon Est a commencé le 2 juin. Les employés syndiqués réclament notamment l'installation d'un bouton panique derrière le comptoir pour alerter sans délai la police en cas d'agressions dans l'établissement et ils demandent qu'un suivi psychologique soit systématiquement fait auprès des victimes, explique Jean-Pierre Larche, conseiller syndical de la CSN.

Commis agressé pendant 13 minutes!

Certaines des agressions détaillées dans les rapports de l'inspectrice de la CSST, Dominique Benjamin, illustrent les dangers que courent les commis travaillant seuls la nuit dans un dépanneur où l'argent liquide, les cigarettes, l'alcool et les billets de loterie constituent des objets de convoitise.

Parmi les agressions rapportées par la CSST, on peut lire les exemples suivants:

«19 décembre 2008 à 3h34, trois individus armés d'une arme de poing et d'un bâton de baseball menacent le travailleur à bout portant et le frappent aux jambes avec le bâton.»

«13 février 2008 à 23h40, vol qualifié: un suspect armé d'un couteau: le travailleur ébranlé ferme le commerce et se réfugie à l'arrière . Il ne signalera le vol qu'à 6h48.»

Il n'y a toujours pas de barrière physique au Couche-Tard de la rue Beaubien, comme nous avons pu le constater au cours d'une visite au dépanneur hier en matinée, ni d'ailleurs dans quatre autres établissements de Montréal que nous avons vus la même journée et qui avaient reçu un avis d'infraction.

«Il est de la responsabilité de l'employeur de protéger le travailleur, lit-on dans le rapport d'intervention de la CSST du 4 mai 2009. Les moyens de contrôle existent, il sont connus et de plus en plus répandus. Plusieurs commerces similaires se sont dotés d'une barrière physique au comptoir qui protège le travailleur en situation de travail isolé le soir et la nuit. Certains d'entre eux choisissent même de se munir d'une telle protection sans même que la CSST ne les y ait obligés.»

D'autres agressions lues dans les rapports d'intervention de la CSST donnent carrément froid dans le dos. C'est le cas du dépanneur du 5959, boulevard Robert, à Saint-Léonard: «Le 18 janvier 2009, le travailleur seul en poste a été agressé physiquement à de nombreuses reprises par un individu armé pendant une période de 13 minutes.» Dans ce cas très précis, la direction de Couche-Tard n'est pas restée les bras croisés. Elle a assuré depuis cette date une présence double au quart de nuit.