Les détaillants d'ici appréhendent une nouvelle vague d'expansion de détaillants américains, en marge de l'arrivée prochaine de Target, le principal rival de Walmart aux États-Unis.

Devant le succès des détaillants internationaux au Canada et une panne de croissance aux États-Unis, plusieurs chaînes américaines multiplient les ouvertures de magasins de ce côté-ci de la frontière.

«Le marché canadien n'a jamais eu autant la faveur des détaillants américains», résume l'analyste Keith Howlett, spécialiste du commerce de détail chez Valeurs mobilières Desjardins, dans une récente note à ses clients-investisseurs.

«L'expansion des détaillants américains au Canada n'a pas suscité autant d'attention dans le milieu du commerce de détail depuis l'arrivée de Walmart en 1994, avec son achat des magasins canadiens de Woolco», renchérit Drew Keddy, vice-président au Canada de Colliers International, un important courtier en immeubles d'usage commercial, dans le plus récent bulletin à ses clients.

«Cette conjoncture s'annonce favorable aux consommateurs canadiens, qui auront plus de choix de magasinage et des prix plus concurrentiels que rarement auparavant. Mais pour les détaillants canadiens, ça s'annonce plus difficile. Certains ne pourront échapper au déclin de leurs parts de marché.»

Comment expliquer cette ambition des détaillants américains envers le Canada? D'autant que le marché canadien du détail ne pèse guère plus de 10% de tout le marché américain?

Pour l'essentiel, disent les analystes et les observateurs, c'est que des facteurs économiques importants sont, encore une fois, alignés en faveur des détaillants américains.

Ils citent le taux de change élevé du dollar canadien par rapport au dollar américain, ce qui rehausse la rentabilité des ventes au détail au Canada lors de leur comptabilisation par la société-mère aux États-Unis.

Aussi, la récente récession a été moins prononcée au Canada qu'aux États-Unis, où les consommateurs ressentent encore les effets du krach de l'immobilier résidentiel et d'un taux de chômage élevé.

Conséquence: pour la première fois en plus de 20 ans, les ventes au détail par personne au Canada viennent d'atteindre la parité avec celles aux États-Unis, lorsqu'elles sont exprimées en dollars américains.

Pourtant, il n'y a guère plus de cinq ans, les ventes américaines par personne étaient supérieures de 50% à leur niveau au Canada, après conversion au taux de change d'alors.

«Ces facteurs économiques attirent les détaillants américains au nord de la frontière, ce qui est en train de changer la face même du commerce de détail au Canada», observe Sherry Cooper, économiste en chef à la Banque de Montréal (BMO) dans un billet publié il y a quelques jours.

«Petite révolution»

Selon JoAnne Labrecque, analyste et professeur en commerce de détail à HEC Montréal, cette nouvelle vague de détaillants américains au Canada, annonce «une petite révolution dans le commerce de détail semblable à celles provoquées par l'entrée de Walmart à la fin des années 90 et l'implantation des magasins-entrepôt Club Price (Costco) 10 ans plus tôt.»

Les spécialistes en immobilier commercial soulignent aussi que l'inventaire de superficie en centres commerciaux demeure moins développé qu'aux États-Unis.

Selon un récent relevé de Colliers International, on compte environ 14 pieds carrés en magasin par consommateur au Canada, comparativement à 23 pieds carrés aux États-Unis.

Pour certains, cette situation démontre en fait un «surdéveloppement» de l'espace de magasinage aux États-Unis, d'où l'inquiétude grandissante des investisseurs en immobilier commercial.

En contrepartie, du côté canadien, la superficie moindre en commerces de détail fait évidemment grimper leur niveau de ventes par pied carré.

Selon Colliers International, après conversion monétaire, ce niveau de ventes se situe maintenant autour de 580$US par pied carré au Canada, contre 309$US aux États-Unis.

Bref, le marché canadien s'avère un véritable pot de miel pour les détaillants américains d'envergure qui veulent étendre leur territoire!

Quelques détaillants d'origine européenne se sont également joints à eux ces dernières années, comme H&M et Zara, en mode vestimentaire.

Le résultat? Le chiffre d'affaires des détaillants d'origine étrangère au Canada frôle maintenant les 65 milliards par an.

Ça équivaut à presque 17% des parts du marché des ventes au détail, selon un relevé récent fait par le Groupe Altus, analyste montréalais en commerce de détail.

À première vue, les parts de marché totales des détaillants sous contrôle étranger semblent encore modestes.

Mais elles se révèlent beaucoup plus importantes dans certaines catégories de commerces de détail, suggère le relevé d'Altus effectué pour le ministère québécois du Développement économique.

Par exemple, elles s'élèvent jusqu'à 69% parmi les chaînes de grands magasins de marchandises diverses, une catégorie qui comprend les Walmart, Costco et Sears, tous sous contrôle américain.

Dans le marché de l'électronique et des électroménagers, la part de marché des détaillants étrangers avoisine maintenant les 40%.

On y retrouve des géants d'origine américaine comme le duo Best Buy/Future Shop, ainsi que Sears et sa division québécoise Corbeil dans les électroménagers.