Les marchands actionnaires encaissent une cinglante défaite devant la Cour supérieure dans leur recours contre Metro (T.MRU.A), qui visait à leur redonner leur influence du passé au sein de la chaîne de supermarchés. Le tribunal ne donne suite à aucune des 17 conclusions recherchées par les demandeurs.

La direction de Metro s'est réjouie de la décision du juge Robert Mongeon, publiée hier. Quel sort attend maintenant les marchands actionnaires au sein de la famille Metro?

«Ça vient de fermer la porte à une guérilla longue de 10 ans, dit Florent Gravel, ex-marchand actionnaire de Metro à qui on a demandé de commenter la décision. Si le juge en avait décidé autrement, il aurait fallu que le management de Metro regarde l'avenir différemment. Le jugement lui donne les coudées franches pour décider comment il entend répliquer aux Supercentres de Walmart qui s'en viennent.»

Selon M. Gravel, les marchands actionnaires avaient déposé leur poursuite le 21 janvier 2003 dans le but de préserver la pérennité du modèle d'affaires du marchand propriétaire au sein de Metro. «Les marchands propriétaires voulaient éviter de subir le même sort que ceux de la bannière Provigo (qui a perdu beaucoup de parts de marché).»

Celui qui est maintenant le PDG de l'Association des détaillants en alimentation du Québec rappelle que, récemment, des marchands affiliés établis comme Chèvrefils, Martel et Pelletier ont vendu leurs magasins à Metro.

Ni le président du Regroupement des marchands actionnaires, Yves Lebel, propriétaire d'un supermarché Metro à La Pocatière, ni l'avocat du regroupement, le redoutable plaideur Jacques Larochelle, n'a rappelé La Presse Affaires pour commenter. Ils ont 30 jours pour interjeter appel.

La société Metro a publié un communiqué le 17 mai affirmant qu'elle maintient d'excellentes relations d'affaires avec ses marchands incluant la minorité qui soutient le Regroupement. «Le modèle des épiciers indépendants, actionnaires ou non, est important pour nous et il va se poursuivre», assure Geneviève Grégoire, conseillère aux communications. Environ 60% des supermarchés Metro appartiennent à des marchands affiliés. Un épicier sur quatre détient des actions B.

Le capital-actions de la société Metro se compose d'actions ordinaires de catégorie A, détenues notamment par le public et donnant droit à un vote par action, et d'actions de catégorie B, donnant 16 droits de vote chacune et qui sont réservées aux marchands exploitant des commerces d'alimentation sous la bannière Metro.

Dans leur requête, les marchands actionnaires demandaient à la cour de déclarer que la détention de magasins d'alimentation Metro exigeait la détention d'un nombre d'actions de catégorie B. Ils souhaitaient aussi que soient déclarées nulles les conversions d'actions B en actions A survenues depuis 2001. Finalement, ils voulaient une ordonnance enjoignant Metro de réserver trois postes d'administrateurs aux marchands actionnaires.

Millionnaires malgré tout

En 1985, Metro était un grossiste détenu presque à 100% par les marchands actionnaires qui monopolisaient alors les 13 postes au conseil d'administration. Au gré des événements - le premier appel public à l'épargne (1986), l'acquisition des Super C (1987), le financement de la Caisse de dépôt (1988), l'arrivée en fonction de Pierre H. Lessard et de Paul Gobeil (1990), le deuxième appel public à l'épargne (1991), l'acquisition de 48 magasins Steinberg (1992), le troisième appel public à l'épargne (1992), l'achat des 41 magasins Loeb (1999), le programme de conversion des marchands-actionnaires en marchands affiliés (2001-2002) et l'achat des supermarchés A&P (2005) -, l'influence des marchands actionnaires n' a jamais cessé de décroître chez Metro.

Aujourd'hui, ils détiennent 8,8% des droits de vote et ne conservent que 1 seul siège sur les 14 que compte le conseil d'administration.

«Il appert clairement de la preuve que la diminution progressive du pouvoir des marchands actionnaires provient des nouvelles conditions du marché, des émissions d'actions, des appels publics à l'épargne, des exigences des investisseurs et non d'actes abusifs de la part de l'entreprise envers les marchands actionnaires B», écrit le juge Mongeon.

Cette perte d'influence des marchands actionnaires s'est faite «en échange d'une participation au développement, à l'expansion et à l'augmentation des parts de marché de Métro et, par conséquent, à leur richesse individuelle», note le juge. Au point où les membres du regroupement sont tous aujourd'hui millionnaires, a avancé la société Metro dans sa défense.

«L'absence d'un préjudice matériel des marchands actionnaires rend totalement illusoire et non productif tout débat sur un possible redressement d'une inexistante oppression des droits des marchands actionnaires», dit le juge, on ne peut plus clairement.

Le procès s'est déroulé en mars 2010, après maints délais. «Je suis déçu que le juge ait pris quasiment 15 mois pour rendre sa décision, déplore Florent Gravel. Le ministre (de la Justice) Fournier dit qu'il faut accélérer les choses dans les cours de justice. Ça commence avec le travail des juges.»