Faire son épicerie au Québec, c'est faire affaire avec un marchand propriétaire dans la plupart des cas. Les épiciers indépendants - souvent affiliés à une bannière comme IGA, Metro ou Provigo - dominent avec 65% du marché actuel de l'alimentation. Un fait unique au Canada, souligne le livre 50 ans d'histoire en alimentation, qui sera lancé ce soir par la revue L'Alimentation, et que La Presse a obtenu.

«Il y a présentement 9000 marchands propriétaires au Québec», a indiqué Karine Moniqui, rédactrice en chef de L'Alimentation, magazine dédié aux épiciers indépendants. Est-ce une particularité intéressante? «Bien sûr: les indépendants sont très près de leurs clients et de la communauté, mais bénéficient du soutien de leur enseigne», a répondu JoAnne Labrecque, professeure de marketing à HEC.

Steinberg, un précurseur

Longtemps, la survie des indépendants a été assurée par la vente de bière, le crédit accordé aux clients, les commandes téléphoniques et la livraison.

Dès 1937, Steinberg adopte ici la formule du supermarché avec 2000 articles, moins chers de 15% à 20% qu'ailleurs, selon un document du ministère de l'Agriculture (MAPAQ). La concurrence est forte: à la fin des années 50, 80% des foyers sont équipés d'un frigo et peuvent délaisser la petite épicerie au profit des supermarchés.

Conséquence: les indépendants doivent se regrouper pour avoir un meilleur pouvoir d'achat, relate 50 ans d'histoire en alimentation. Ils assistent à la montée du concurrent Steinberg, finalement démantelé en 1992.

«Les épiciers indépendants ont su s'inspirer des bons coups de ce géant et ont réussi là où la chaîne a échoué, a estimé Mme Moniqui. Au Québec, les consommateurs voulaient être servis par des marchands propriétaires. C'est encore vrai aujourd'hui.»

La menace de Walmart

Désormais, la menace vient de Walmart, qui ouvrira bientôt sept Supercentre avec épicerie fraîche au Québec. Et de Target, autre grand généraliste qui devrait suivre.

«L'industrie est à la croisée des chemins, a reconnu Mme Moniqui. Plusieurs se demandent si elle survivra.»

Sylvain Charlebois, expert en distribution alimentaire à l'Université de Guelph, est optimiste. «Je pense que les indépendants ont toujours leur place au Québec, a-t-il dit, parce que les consommateurs reconnaissent l'importance d'avoir une variété de produits locaux et ne veulent pas juste encourager les géants.»

Mais marchand propriétaire ne veut plus dire petite épicerie. Si la superficie moyenne des supermarchés était de 12 000 à 14 000 pieds carrés dans les années 80, elle a triplé aujourd'hui, selon Mme Labrecque. «Si les indépendants ne sont pas dynamiques, ils vont disparaître, a prédit la professeure. Mais de mon expérience, ce sont des gens très dynamiques et dédiés à leur entreprise.»