Le secteur du canal de Lachine connaît un boom immobilier sans précédent, et ses marchands en ont marre de voir les nouveaux arrivants se rendre au centre-ville pour acheter leurs vêtements. Ils viennent de créer une nouvelle association commerciale dans l'espoir de faire de leur quartier une destination commerciale digne de ce nom, lui qui a longtemps été l'un des plus pauvres de Montréal.

«Dans la tradition des livres de Michel Tremblay, on parlait toujours de Saint-Henri comme si c'était le bas de la ville, là où on ne voulait pas aller, où c'était pauvre, relate Jacques Charette, qui dirige le Quartier du canal. Cette perception est restée. Et en plus, c'est resté dans la mentalité francophone de ne pas vouloir traverser vers l'Ouest, dans le patelin des anglophones.»

Lorsqu'il a aménagé dans le secteur, il y a 30 ans, l'ancien agent immobilier a découvert une piquerie à deux portes de chez lui. Maintenant, rue Notre-Dame, les restaurants huppés côtoient les bars de loterie vidéo. Les quartiers résidentiels se dressent devant des boutiques d'antiquités. À l'est, Griffintown s'apprête à connaître un développement immobilier gigantesque et l'autoroute Bonaventure se transformera bientôt en boulevard. À l'ouest, à l'ombre de l'échangeur Turcot, on trouve des écoles, des parcs, des quartiers résidentiels défavorisés et une courtepointe de commerces. Entre les deux, le marché Atwater.

«Rue Notre-Dame, par rapport aux rues Saint-Denis et Mont-Royal qui sont constamment commerciales, on a permis des changements de zonage pour construire à peu près n'importe quoi dans les années 80, constate M. Charette. Alors au lieu d'avoir une artère commerciale unifiée, on a un peu de n'importe quoi.»

Jacques Charette l'admet, les mentalités ne changent pas vite à l'égard de Saint-Henri, de la Petite-Bourgogne et de Griffintown, ces anciens quartiers ouvriers qui longent le canal de Lachine. Et ce, même s'ils connaissent aujourd'hui une effervescence immobilière sans précédent. La propriété moyenne s'est en effet appréciée de 30,6% dans le dernier rôle d'évaluation municipal. Seul le Plateau-Mont-Royal a connu une hausse plus forte.

Avec d'autres gens d'affaires, M. Charette vient d'incorporer le Quartier du canal afin de mieux coordonner l'épanouissement économique local. L'arrondissement vient de verser une subvention de 20 000$ à l'organisme.

«Ils sont motivés, ils veulent aller de l'avant, et ils ont décidé de faire de la redynamisation de Notre-Dame et d'une partie de la rue Atwater un véritable cheval de bataille», affirme le maire de l'arrondissement du Sud-Ouest, Benoît Dorais, qui se dit lui aussi préoccupé de voir les nouveaux habitants du quartier magasiner au centre-ville.

M. Charette souhaite en outre resserrer la coopération avec les autorités politiques. Il y a deux ans, il a convaincu l'arrondissement de distribuer des fleurs aux commerçants afin qu'ils décorent la façade de leurs magasins. L'expérience a été un flop. Les règlements interdisent les bacs à fleurs qui obstruent les trottoirs. Certains commerçants ont reçu des contraventions pour avoir installé les plantes que leur avait données l'arrondissement.

Un défi de taille

Le Quartier du canal compte une vingtaine de membres et ses dirigeants n'excluent pas de former une société de développement commercial (SDC), un regroupement à cotisation obligatoire comme ceux qui rassemblent les marchands du centre-ville, de l'avenue du Mont-Royal et de la Promenade Ontario. Mais avant d'en arriver là, ils souhaitent se doter d'un plan de match pour attirer davantage de clients et de commerçants.

Le défi est de taille. Pour commencer, l'organisation ignore le nombre exact d'entreprises qui ont pignon sur rue dans le secteur. Jacques Charette estime qu'il y en a entre 300 et 400 le long des rues Notre-Dame et Atwater, les principales artères commerciales. Et encore, l'environnement et la clientèle des boutiques changent du tout au tout d'un secteur à l'autre. Comment concilier les intérêts d'un antiquaire de la Petite Bourgogne, d'une taverne de Saint-Henri et d'un restaurant haut de gamme près du marché Atwater?

«Je ne vois pas comment une vente trottoir, par exemple, pourrait s'appliquer à un bout comme à l'autre», constate M. Charette.

Une étude terminée l'an dernier suggérait de doter la rue Notre-Dame d'un mobilier urbain uniforme, par exemple des lapadaires ou des boîtes à fleurs, pour la rendre plus agréable à fréquenter à pied. On proposait aussi des changements pour l'intersection Notre-Dame-Atwater, le coeur commercial du quartier, acutellement bordée par deux stations-service et une bretelle qui mène à un tunnel. Si elle devenait plus invitante pour les piétons, peut-on lire dans l'étude, les clients du Marché Atwater pourraient être tentés de poursuivre leurs emplettes rue Notre-Dame.

«À partir du moment où vous traversez Atwater, ce n'est pas le même paysage du tout, convient Toby Lyle, propriétaire du Burgundy Lion, pub branché ouvert il y aura bientôt trois ans rue Notre-Dame près de Charlevoix. Mais je vois, dans les 5 ou 10 ans qui viennent, la même chose va arriver de l'autre côté, parce qu'il y a des condos qui se construisent là-bas aussi.»

Site web

Le Quartier du canal lancera bientôt un site web pour faire la promotion de différents événements culturels. L'objectif est d'attirer à la fois la population locale et les clients de l'extérieur. En faisant la promotion d'un spectacle au Théâtre Corona, par exemple, l'internaute pourra apprendre que les restaurants Joe Beef et Limon se trouvent juste à côté. On le renseignera aussi sur les bars du secteur, ainsi que les commerces de proximité comme les boucheries ou les pharmacies.