Il y a un peu plus d'un mois, le producteur de fraises Guy Rivest a reçu une lettre de Loblaw (T.L) l'avertissant qu'il ne pouvait plus faire de livraison directement aux épiceries de sa région. Qu'il n'était plus un fournisseur pour le groupe de supermarchés. S'il souhaitait poursuivre sa collaboration avec Loblaw, ses produits devaient dorénavant être inscrits au registre des articles de l'entrepôt.

«C'est aberrant, lance le producteur de Lanaudière. Au moment où ils font la promotion de l'achat local et de l'achat vert, il faudrait que j'envoie mes fraises à Montréal quand le Maxi se trouve à 5 km de chez nous.» L'agriculteur livrait directement aux épiceries de Lanaudière et des Laurentides. Ses fraises cueillies le matin se trouvaient sur les tablettes la même journée.

 

Les épiceries du groupe Loblaw représentent le tiers des ventes de fraises fraîches pour les Fermes Guy Rivest.

Le couperet est-il tombé uniquement sur ses confitures ou aussi sur ses fruits frais? L'agriculteur a essayé d'obtenir des explications auprès de l'entreprise, sans succès.

La procédure n'est ni inhabituelle ni illogique.

La bannière a revu sa liste de fournisseurs et élimine ceux qui sont le moins performants. Environ 500 producteurs ou transformateurs ont reçu une lettre comme celle envoyée à M. Rivest. Une centaine au Québec. «Nos tablettes ne sont pas élastiques et nous voulons faire de la place pour de nouveaux produits innovateurs», explique Josée Bédard, porte-parole québécoise pour le groupe Provigo.

Cette histoire ne fait pas plaisir à l'Union des producteurs agricoles. Le président du syndicat des agriculteurs (UPA) en a même fait le sujet de son éditorial dans le dernier numéro du journal La Terre de chez nous. Il déplore que Loblaw tienne un double discours. D'un côté, les épiciers disent faire la promotion des produits du Québec en public et, de l'autre, ni vu ni connu, ils cessent de faire affaire avec de petits producteurs. «Ça va complètement à contre-courant de la tendance actuelle, croit aussi le président de l'UPA, Christian Lacasse. Partout, on encourage l'achat de proximité et Loblaw va clairement dans le sens inverse.»

«Notre préoccupation, poursuit-il en entrevue, c'est que les plus petites entreprises qui ne peuvent pas approvisionner le marché provincial perdent un accès aux consommateurs de leur région.»

Nathalie Rainville, de Cuisine Poirier, a aussi reçu la fameuse missive. Ses mayonnaises ne sont plus bienvenues chez Loblaw. «C'est certain qu'on ne vendait pas autant que la mayonnaise Hellman's, dit-elle. Mais on ne vendait pas une seule caisse par année!»

Si la mesure est si décriée, c'est que, contrairement aux deux autres grandes bannières de marchands d'alimentation, la plupart des épiceries du groupe appartiennent au groupe. Tous les Maxi et Loblaws du Québec sont des magasins «corporatifs». La plupart des Provigo québécois sont aussi «corporatifs», ce qui laisse peu de marge de manoeuvre aux producteurs qui voudraient faire affaire directement avec l'épicier de leur région.

Sobeys, à l'inverse, n'a qu'une douzaine de magasins «corporatifs» dans toute la province. Tous les autres sont des marchés indépendants. «Ce qui veut dire que si un IGA du Lac-Saint-Jean a comme voisin un producteur de bleuets, il peut faire affaire directement avec lui», explique Anne-Hélène Lavoie, porte-parole du groupe Sobeys pour le Québec.

Du côté de Metro, toutes les épiceries Metro appartiennent à des franchisés ou à des commerçants indépendants. Il n'y a que les magasins Super C qui sont «corporatifs», mais ce sont évidemment des commerces où il est davantage question de prix que d'achat local.