Estimant que le journalisme de qualité joue un rôle « essentiel » dans une démocratie en santé, le gouvernement Trudeau répond à l'appel de détresse de l'industrie de la presse écrite et annonce trois mesures pour l'aider à traverser la crise sans précédent qu'elle vit depuis quelques années dans la mise à jour économique présentée aujourd'hui par le ministre des Finances Bill Morneau à la Chambre des communes.

Cette mise à jour économique, qui a davantage l'allure d'un mini-budget, comporte une hausse des dépenses de 17 milliards sur six ans et ne prévoit toujours pas un calendrier de retour à l'équilibre budgétaire. Le déficit devrait être de 18,1 milliards de dollars en 2018-2019 - une somme qui comprend un coussin financier de trois milliards de dollars - et diminuer graduellement à 11,4 milliards de dollars en 2023-2024.

Dans le cas de l'aide aux médias, la principale mesure consiste à créer un nouveau crédit d'impôt remboursable à l'intention des organismes d'information à but lucratif ou non lucratif pour les coûts de main-d'oeuvre liés à la production de nouvelles et d'information qui intéressent les Canadiens. L'ampleur de ce crédit d'impôt sera précisée dans le prochain budget fédéral, prévu au printemps, mais il sera rétroactif au 1er janvier 2019.

Ottawa compte mettre sur pied un groupe indépendant de journalistes afin de définir en quoi consiste le journalisme professionnel et déterminer les critères d'admissibilité à ce nouveau crédit d'impôt remboursable.

L'autre mesure permettra aux entreprises de presse détenues par un organisme sans but lucratif d'émettre des reçus d'impôts aux personnes et aux sociétés qui lui accorderont un don pour financer leurs activités.

Enfin, le gouvernement fédéral annonce aussi la création d'un nouveau crédit d'impôt non remboursable de 15 % pour encourager les abonnements aux médias d'information numériques canadiens.

Ces trois mesures coûteront 595 millions de dollars au trésor fédéral au cours des cinq prochaines années. À terme, le coût de ces mesures frisera les 165 millions de dollars par année à compter de 2023-2024, selon les calculs du ministère des Finances.

« Le journalisme fort et indépendant sert l'intérêt public - au bénéfice du Canada et des Canadiens. Les Canadiens ont le droit de pouvoir consulter un vaste éventail de sources d'information indépendantes et de confiance, et le gouvernement à la responsabilité de s'assurer qu'ils ont accès à de telles sources d'information », peut-on lire dans la mise à jour économique.

Depuis quelques années, l'industrie de la presse écrite est en crise en raison de la chute brutale de ses revenus publicitaires. À titre d'exemple, les quotidiens canadiens ont vu la moitié de leurs revenus de publicité - environ 1,5 milliard - fondre comme neige au soleil au cours de la dernière décennie. Pis encore, la majeure partie de ces revenus publicitaires a abouti dans les coffres de géants américains comme Google et Facebook, qui n'investissent pas dans le journalisme canadien et qui ne paient aucun impôt au trésor fédéral. L'ampleur de la crise est telle que le Canada a perdu environ 25 % de ses journaux et hebdos depuis huit ans.

L'industrie de la presse écrite plaidait l'urgence d'adopter des mesures pour éviter la fermeture de grands quotidiens. Le syndicat FNC-CSN, qui représente 6000  travailleurs dans les médias, avait proposé l'an dernier au gouvernement fédéral d'accorder un crédit d'impôt remboursable sur la masse salariale de 30 % pour soutenir les entreprises de presse.

Le Parti conservateur opposé

Ce train de mesures annoncé par le ministre Morneau survient une semaine environ après que le premier ministre Justin Trudeau eut fait un vibrant plaidoyer en faveur d'une presse libre et indépendante dans une lettre également signée par le président de la France Emmanuel Macron et d'autres dirigeants. M. Trudeau et ses homologues étrangers se sont aussi engagés à adopter les mesures qui s'imposent pour soutenir le journalisme de qualité, tout en respectant l'indépendance des médias.

Avant même l'annonce du ministre Bill Morneau, le Parti conservateur s'est élevé contre toute forme d'aide aux médias à la Chambre des communes, accusant les libéraux de Justin Trudeau de tenter « d'acheter les médias ».

« Le gouvernement et les libéraux annoncent des milliers de beaux dollars pour les médias. De nombreux journalistes respectés expriment leur malaise face à ce copinage incestueux. La question est simple. Au lieu de s'attaquer réellement aux problèmes structurels, est-ce que le gouvernement n'essaierait pas d'acheter les médias en pleine année électorale ? », a lancé aux Communes mardi le député conservateur Steven Blaney.

« Wow la théorie du complot ! De ce côté-ci de la Chambre, on reconnaît l'importance du journalisme professionnel », a répliqué le ministre du Patrimoine Pablo Rodriguez, ajoutant plus tard que « le Canada est chanceux de compter sur des journalistes professionnels qui se basent sur des faits. D'ailleurs, le journalisme professionnel joue un rôle fondamental dans notre société. C'est l'un des piliers de notre démocratie. »

Protéger l'attrait du régime fiscal canadien

Ottawa va par ailleurs investir plus de 14 milliards de dollars sur cinq ans pour maintenir l'attrait du régime fiscal canadien destiné aux entreprises.

Le gouvernement Trudeau veut ainsi réagir aux baisses d'impôts décidées en décembre dernier par l'administration Trump, qui risquaient d'inciter de nombreuses entreprises à déplacer leurs opérations au sud de la frontière

Plutôt que de baisser à son tour l'impôt des entreprises, Ottawa propose de favoriser l'investissement grâce à une série de mesures touchant l'amortissement.

Le gouvernement fédéral permettra entre autres aux manufacturiers et aux transformateurs de déduire de leurs revenus, dès la première année de mise en service, leurs investissements en machinerie. Cette mesure s'appliquera aussi à l'achat de matériel pour la production d'énergie propre.

« Notre démarche indique clairement aux entreprises que si elles ont le choix d'investir d'un côté ou de l'autre de la frontière, le Canada représente un choix judicieux et raisonnable », a dit le ministre des Finances Bill Morneau.

Ottawa prévoit que cette initiative lui coûtera plus de 4,8 milliards dès 2019, et qu'elle sera éliminée progressivement à partir de 2024.