Les réactions ont fusé hier, à mesure que les détails de l'entente commerciale canado-américaine étaient connus.

MANON LACROIX CHEF DES FINANCES DE SUCRE LANTIC

« Le nouvel accord nous permettra de presque doubler nos exportations. Pour le moment, on peut exporter 10 300 tonnes de sucre d'origine canadienne [tiré de la betterave à sucre]. On pourra désormais ajouter à cette quantité 9600 tonnes. Pour nous, ce n'est pas négligeable. C'est ce que nous avions obtenu [pour les États-Unis] lors de l'Accord de partenariat transpacifique. Ça nous a donc redonné ce qu'on avait eu. Maintenant, on devra voir combien de temps il faudra pour mettre tout ça en oeuvre et s'il y a des dispositions qu'on n'a pas saisies. »

PAUL-ANDRÉ GOULET PROPRIÉTAIRE D'UNE DIZAINE DE MAGASINS SPORTS EXPERTS ET ATMOSPHERE DANS LA RÉGION DE MONTRÉAL

« Les taxes non perçues et la baisse des frais de douane pour les achats en ligne créent un désavantage pour les commerçants canadiens. Pourquoi n'aurait-on pas un congé de taxe aussi de notre côté, dans nos magasins et sur nos sites internet, surtout si on soutient que le consommateur y gagne ? Le gouvernement devra harmoniser cette politique, car elle est inéquitable. Pour le moment, on a l'avantage du taux de change, car le produit américain coûte de 20 % à 25 % plus cher. L'effet sera faible tant que le taux de change ne bougera pas. Je ne crois pas, à court terme, que ça changera quoi que ce soit pour les produits courants. Mais pour les articles plus chers pour lesquels on est prêt à faire des recherches, ce sera autre chose. »

CANADIAN TIRE

« Le gouvernement fédéral réduira les taxes à l'importation et les taxes de vente des détaillants étrangers en haussant le seuil de minimis [des exemptions]. Canadian Tire s'attend à ce que le gouvernement fédéral crée des règles du jeu équitables en accordant le même traitement aux détaillants canadiens et suppose en toute franchise qu'il le fera. Ce faisant, nous appuierons les travailleurs canadiens de la vente au détail tout en réduisant davantage les prix pour les consommateurs canadiens, une solution gagnante pour tous que Canadian Tire appuie pleinement. »

MANUFACTURIERS ET EXPORTATEURS DU QUÉBEC

Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) est satisfaite de la signature du nouvel Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC).

Le nouvel accord prévoit plusieurs éléments qui ont été bonifiés, ou qui conservent le statu quo. « Nous sommes satisfaits que les trois parties soient arrivées à un accord qui, d'autant plus, répond favorablement en grande partie aux demandes du secteur manufacturier québécois », soutient Véronique Proulx, présidente-directrice générale, MEQ.

« La renégociation de l'ALENA a généré beaucoup d'incertitude au Québec, ce qui a nui aux investissements. Nous sommes donc heureux qu'un nouveau cadre ait été établi et que la grande majorité des manufacturiers s'en sortent gagnants », précise Mme Proulx.

JEAN MORIN PRODUCTEUR LAITIER ET COPROPRIÉTAIRE DE LA FROMAGERIE DU PRESBYTÈRE À SAINTE-ÉLIZABETH-DE-WARWICK

« C'est catastrophiquement difficile à prendre », lance Jean Morin, producteur laitier et copropriétaire de la Fromagerie du presbytère à Sainte-Élizabeth-de-Warwick, celui qui a fait couler un peu d'encre, il y a quelques années, en voulant lancer un fromage appelé le Brie du monopole. Sa fromagerie, dit-il, risque de bien se tirer d'affaire malgré l'ouverture du marché d'ici aux produits américains, car la clientèle est fidèle. « On a une belle notoriété qui nous permet de garder la tête hors de l'eau », affirme-t-il. Mais côté lait, M. Morin se prépare à une baisse de revenus, à cause d'une pression à la baisse sur les prix notamment, qui s'ajoute aux impacts de l'entente commerciale avec l'Europe et qui s'ajoutera à ceux des accords avec les pays du Pacifique. « Aujourd'hui, tout le monde de l'agriculture a intérêt à se serrer les coudes. »

DANIEL GOSSELIN COPROPRIÉTAIRE DE LA FROMAGERIE AU GRÉ DES CHAMPS, À SAINT-JEAN-SUR-RICHELIEU

« Je n'ai pas été étonné. Je pensais même que le pourcentage [d'ouverture du marché] serait entre 5 % et 10 % », affirme le producteur laitier et fromager, qui confectionne des fromages artisanaux bien connus au Québec. « On a traversé un peu la même chose avec les négociations des accords avec l'Europe, où tout a été fait en cachette. » Mais bon, ajoute-t-il, « le secteur automobile, c'est important aussi ». Le fromager, qui voit l'arrivée de nouveaux produits concurrents européens et qui attend maintenant de constater l'impact sur le marché d'ici de l'arrivée des produits américains, a fait des investissements pour agrandir son étable et regarde en avant, dit-il. « Mais les gens d'ici devront faire un choix politique, un choix éthique : veut-on garder nos campagnes vivantes ? Oh, et je ne suis vraiment pas sûr que le lait va coûter moins cher. »

MAXIME LAPLANTE PRÉSIDENT DE L'UNION PAYSANNE

« Il faut réformer la gestion de l'offre, sinon ça va continuer comme ça à s'effriter et on va finir par totalement la perdre », dit le président du regroupement d'agriculteurs opposés au monopole de l'Union des producteurs agricoles. Ce que l'Union paysanne croit, c'est que si le système actuel est réformé, il deviendra plus solide localement et dépendra moins des marchés étrangers. Et c'est la dépendance aux marchés extérieurs, affirme Maxime Laplante, qui nous rend vulnérables quand on négocie des accords commerciaux. « L'agriculture ne devrait pas faire partie des accords de libre-échange, les règles de l'OMC ne devraient pas s'appliquer à l'agriculture... [...] C'est un besoin essentiel d'une société. » La nourriture devrait, dit-il, être gérée autrement. Dans une catégorie à part loin des fluctuations sévères déclenchées par les lois du marché et de la concurrence. Pas dans les mêmes paradigmes que les stylos ou les ordinateurs.

- Propos recueillis par Isabelle Massé et Marie-Claude Lortie