Alors que l'incertitude persiste quant à la survie de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), le gouvernement Trudeau a exhorté hier le Parlement à adopter au plus vite un autre accord de libre-échange avec 10 pays de la région Asie-Pacifique, d'une « importance capitale » pour l'économie canadienne.

Jim Carr, ministre de la Diversification du commerce international, a entamé la deuxième lecture d'un projet de loi pour mettre en oeuvre l'Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (aussi appelé PTPGP). Ce traité, qui inclut notamment le Japon, le Viêtnam et l'Australie, entrera en vigueur deux mois après sa ratification par six des pays signataires.

« Il ne s'agit pas seulement d'un nouvel accord commercial pour le Canada, il s'agit aussi d'un message que nous envoyons au reste du monde : le commerce est important, les règles sont importantes, et nous ne céderons pas au protectionnisme. » - Jim Carr, ministre de la Diversification du commerce international

Il s'agit du premier projet de loi du gouvernement Trudeau débattu depuis la reprise des travaux de la Chambre des communes, un choix délibéré vu le froid commercial qui règne entre Ottawa et Washington. « C'est maintenant plus que jamais le temps pour les Canadiens de miser sur la diversification », a résumé le ministre Carr.

500 MILLIONS DE PERSONNES

Le PTPGP a bien failli ne jamais voir le jour. La première mouture de l'entente, qui incluait les États-Unis, a été reniée par Washington quelques jours après l'élection du président Donald Trump en 2016.

La nouvelle version, signée en mars dernier, permettra la libre circulation d'une vaste quantité de biens et services dans une région qui regroupe 500 millions de personnes. Le PTPGP générera des retombées économiques annuelles de 4,2 milliards pour le Canada, selon les estimations d'Ottawa.

Pendant un discours à la Chambre des communes, Jim Carr a fait valoir que cette entente devrait réjouir « les agriculteurs et les producteurs, les pêcheurs et pêcheuses, les bûcherons (et bûcheronnes), le milieu des finances et les gens ordinaires, les mineurs et les chimistes, les fabricants et les fournisseurs de services ».

ACCORD CONTROVERSÉ

Malgré l'enthousiasme débordant du gouvernement Trudeau et du Parti conservateur, le nouvel accord est loin de faire l'unanimité. Le Nouveau Parti démocratique (NPD) s'y oppose fermement, de même que plusieurs syndicats et producteurs agricoles.

Pendant un long débat sur le projet de loi C-79 au Parlement hier soir, plusieurs députés du NPD ont énuméré les désavantages du PTPGP, qui représentera, selon eux, un désastre pour l'industrie agricole du pays.

Principal écueil : cet accord créera une brèche dans le système canadien de gestion de l'offre, dénoncent-ils. Un paradoxe, au moment où le Canada tente de défendre ce système dans le cadre de la renégociation de l'ALENA avec Washington.

« Les libéraux mettent de l'avant un accord qui montre clairement aux Américains que nous sommes prêts à jeter au panier la gestion de l'offre. » - Tracey Ramsey, députée néo-démocrate

Le syndicat Unifor, qui représente 315 000 travailleurs canadiens, juge pour sa part que le « débat précipité » autour de la mise en oeuvre du PTPGP « nuit à la position commerciale du Canada à un moment crucial des négociations entourant l'ALENA ».

« Le PTPGP comprend de faibles dispositions pour protéger la culture, cherche à augmenter les importations dans les secteurs soumis à la gestion de l'offre et inclut de faibles normes du travail qui sont inapplicables. Or, le Canada se bat à la table de négociation de l'ALENA pour ces enjeux-clés », a dénoncé Jerry Dias, président national d'Unifor, dans un communiqué.

« JOUER SUR LES MOTS » ?

Questionné plus tôt dans la journée à ce sujet, le premier ministre Justin Trudeau a estimé que son gouvernement avait été « très clair » dans ce dossier. « Nous allons protéger la gestion de l'offre et nous allons nous assurer que nos citoyens, nos travailleurs et notre économie bénéficient d'un bon accord », a-t-il lancé.

La position du gouvernement est, dans les faits, beaucoup plus nuancée, croit Patrick Leblond, professeur agrégé à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa. Il estime que le gouvernement Trudeau pourrait protéger le principe du système de gestion de l'offre tout en offrant certains quotas d'importations de produits laitiers aux Américains en guise de compromis.

« Quand on parle de protéger la gestion de l'offre, on semble jouer un peu sur les mots », a-t-il noté.

La ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland a confirmé, hier, qu'elle se rendra à Washington plus tard cette semaine afin de poursuivre « en tête à tête » la renégociation de l'ALENA avec ses homologues américains.

Les États-Unis ont déjà conclu un accord préliminaire avec le Mexique, il y a trois semaines, et augmentent la pression sur le Canada. La Maison-Blanche a menacé d'imposer une importante surtaxe sur les exportations automobiles canadiennes - en plus de celles sur l'acier et l'aluminium - , si un nouvel accord n'était pas conclu d'ici la fin du mois.

Photo Eric BARADAT, Archives Agence France-Presse

La ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland a confirmé, hier, qu'elle se rendra à Washington plus tard cette semaine afin de poursuivre la renégociation de l'ALÉNA.