Le niveau de stress de nombreux petits entrepreneurs a grimpé soudainement de façon inattendue au cours des derniers jours, quand ils ont reçu de l'Agence du revenu du Canada (ARC) une lettre les menaçant d'une peine de prison en dépit du fait qu'ils s'étaient pliés à ses exigences.

«J'ai une quinzaine ou une vingtaine de clients qui ont reçu cette lettre», a confié à La Presse une comptable qui souhaitait garder l'anonymat, par peur de représailles de l'Agence envers elle ou ses clients.

«Ils m'ont appelée en panique. Avez-vous vu la lettre? C'est des menaces de prison!»

La lettre a été acheminée à la fin de mai, manifestement à toutes les entreprises comptant moins de 50 employés qui ont transmis leurs relevés T4 sur papier, plutôt que de façon électronique.

«Si nous ne recevons pas votre déclaration dans les 30 jours suivant la date indiqué [sic] sur cette lettre, vous pourriez être coupable d'une infraction [...], ce qui peut entraîner une amende entre 1000$ et 25 000$, ou une telle amende et un terme [sic] d'emprisonnement jusqu'à 12 mois», peut-on notamment y lire.

Les clients de la comptable citée plus haut avaient tous transmis ces documents jusqu'à trois mois plus tôt, en février. Cela ne les a pas empêchés de recevoir de l'Agence une lettre au ton sans équivoque.

«Ils pourraient au moins mettre une phrase pour dire: "Ne tenez pas compte de cet avertissement si vous avez déjà envoyé vos documents"», s'exclame un entrepreneur ayant reçu la lettre et qui a lui aussi requis l'anonymat.

«C'est une pratique normale pour l'ARC de faire un suivi auprès des employeurs à cette période de l'année lorsque nos dossiers indiquent qu'une déclaration n'a pas été reçue, a expliqué l'Agence dans une réaction par courriel. Cet avis a pour objectif d'informer les employeurs des exigences légales [...] et des pénalités connexes. Suite à la réception de cet avis, un employeur qui aurait déjà produit sa déclaration doit tout de même nous acheminer une copie.»

Ces lettres ne sont malheureusement pas exceptionnelles, note Ashley Ziai, analyste sénior à la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI).

«Nos membres nous appellent souvent à propos de lettres de ce genre. Le problème, c'est le jargon utilisé par l'Agence, qui peut parfois sembler extrême.»

- Ashley Ziai

La FCEI travaille depuis «plusieurs années» avec l'ARC pour modifier le langage de ces lettres, qui est parfois trop menaçant, parfois pas assez clair, selon Mme Ziai. Mais il s'agit d'un travail de longue haleine.

BOURRÉE DE FAUTES

Si le contenu de la lettre acheminée aux entrepreneurs peut les avoir choqués, c'est aussi le cas de sa forme. L'un d'entre eux a acheminé à La Presse une copie «corrigée» dans laquelle il avait relevé au moins huit erreurs de français.

«Si votre entreprise utilise un service de paie, veuillez vérifier s'ils [sic] ont produit votre déclaration avec nous [sic]», peut-on par exemple y lire, ce qui semble être une mauvaise traduction de l'anglais.

«Les erreurs de traduction sont toujours inacceptables, a écrit un porte-parole de l'ARC dans un courriel à ce sujet. C'est pourquoi l'Agence révise continuellement ses processus pour assurer la qualité et la clarté de la langue utilisée à travers ses diverses correspondances. Par contre, comme dans toute grande organisation qui publie des milliers de pièces de correspondance, des erreurs surviennent malgré tous les efforts déployés. L'avis en particulier et son processus de révision seront entièrement revus.»