La Banque du Canada a relevé son taux directeur pour la troisième fois en six mois, mercredi, au moment où l'économie du pays tourne «près des limites de sa capacité» tout en restant menacée par la possible disparition de l'ALENA et l'endettement record des ménages.

L'institution a fait passer son taux cible de financement à un jour à 1,25 %, soit une hausse d'un quart de point. Cette augmentation aura un impact direct sur les coûts d'emprunt des ménages, notamment en ce qui a trait aux hypothèques. 

«Les données récentes ont été robustes, l'inflation se situe près de sa cible et l'économie tourne à peu près à son potentiel, a expliqué la Banque dans un communiqué. Toutefois, l'incertitude entourant l'avenir de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) brouille les perspectives économiques.»

La majorité des économistes s'attendent à deux ou trois autres hausses d'un quart de point en 2018, ce qui porterait le taux directeur à 1,75 % ou 2 % d'ici la fin de l'année. 

Économie en feu

L'économie canadienne a enregistré une année 2017 exceptionnelle, avec une croissance du produit intérieur brut (PIB) de 3 % et une vive expansion du marché de l'emploi, rappelle la Banque. 

L'inflation a grimpé à 2,1 %, ce qui a contribué à la décision de la Banque d'augmenter son taux directeur. L'institution s'attend à ce que l'inflation reste autour de sa cible de 2 % au cours des prochains mois.

Signe de la vigueur de l'économie, le taux de chômage est tombé à un niveau «historiquement bas» au Canada (5,7 % en décembre), rappelle la Banque. Les pénuries de main-d'oeuvre sont d'ailleurs «plus manifestes et plus intenses qu'il y a un an».

La forte progression de l'emploi a contribué à une hausse de la consommation et de l'investissement résidentiel plus importante qu'anticipée. Les intentions d'investissement des entreprises restent positives.

Baisse de cadence

La nouvelle hausse de taux annoncée mercredi - couplée à des règles plus sévères sur les prêts hypothécaires - devrait ralentir la cadence des dépenses des ménages, surtout dans l'immobilier. 

«Les hauts niveaux d'endettement de ménages sont susceptibles d'amplifier l'effet des taux d'intérêt plus élevés sur la consommation, puisque le coût supérieur du service de la dette risque davantage d'imposer des contraintes à certains emprunteurs et de les forcer à modérer leurs dépenses», explique la Banque dans son rapport.

Nuages noirs sur l'ALENA

Sans se prononcer sur les chances de survie de l'ALENA, les grands bonzes de la Banque du Canada reconnaissent que «l'incertitude élevée» autour de cet accord commercial continuera de «brider» la croissance des investissements des entreprises canadiennes. Le président américain Donald Trump a qualifié à plusieurs reprises l'ALENA de «pire accord commercial» de tous les temps.

Même si elles disent toujours vouloir accroître leurs investissements, notamment en machinerie, les entreprises canadiennes «se préoccupent de plus en plus de la renégociation en cours de l'ALENA et de la montée du protectionnisme en général».

La Banque du Canada s'attend à ce que la période d'incertitude actuelle fasse reculer d'environ 2 % le niveau d'investissement des entreprises au Canada d'ici la fin de 2019. Elle s'attend en outre à ce que ces inquiétudes retranchent 0,3 % à la croissance du PIB canadien pendant cette même période. 

La Banque prévoit une croissance du PIB de 2,2 % cette année et de 1,8 % l'an prochain, contre 3 % l'an dernier.

Réforme fiscale

Une autre décision du gouvernement Trump, soit la réforme fiscale avalisée par le Congrès au cours des dernières semaines, viendra «renforcer les effets de l'incertitude» et freiner les investissements au pays, souligne la Banque.  

Les baisses de taxes majeures promulguées par Washington pourraient convaincre des sociétés de rediriger une partie de leurs dépenses d'investissement au sud de la frontière, avertit-on.

Exercice délicat

La fixation des taux constitue un exercice hautement délicat pour la Banque, qui doit jongler avec un marché de l'emploi en feu, des ménages souvent pris à la gorge par l'endettement et un climat géopolitique international instable. La prudence sera de mise au cours des prochains mois, a indiqué en somme l'organisme mercredi.

«Quoique l'on s'attende à ce que les perspectives économiques justifient des taux d'intérêt plus élevés avec le temps, il sera probablement nécessaire de maintenir un certain degré de détente monétaire afin que l'économie continue de tourner près de son potentiel et que l'inflation demeure à la cible», écrit-on. 

Le conseil de direction de la Banque entend faire preuve de «circonspection» avant de promulguer toute hausse supplémentaire. Avec les changements annoncés ce mercredi, le taux officiel d'escompte s'établit à 1,5 % et le taux de rémunération des dépôts, à 1 %.

Le gouverneur de la Banque, Stephen Poloz, prononcera une conférence de presse à 11h15 mercredi au siège social de l'organisme, à Ottawa.

Peu d'impact, selon Leitão

La hausse du taux directeur a été plutôt bien accueillie à Québec. Le ministre des Finances, Carlos Leitão, ne croit pas que le resserrement du crédit aura un impact majeur sur l'économie.

Il convient toutefois que la hausse des taux d'intérêt risque de ralentir «un peu» le marché immobilier.

«Ce qui pourrait ralentir un peu la consommation, c'est s'il y a un processus de hausse de taux relativement rapide, a indiqué M. Leitão. Je ne m'attends pas à ça.»

Le ministre s'attend à ce que la Banque du Canada annonce de trois hausses d'un quart de point de pourcentage en 2018.

- Avec Martin Croteau, La Presse, à Québec