Netflix investira-t-il vraiment 500 millions de dollars sur cinq ans au Canada ? Le géant américain s'est entendu à cette fin avec le gouvernement Trudeau... mais il aura droit à des crédits d'impôt canadiens pouvant atteindre de 25 à 36 % sur ses dépenses, selon des experts consultés par La Presse. Résultat : l'investissement net de Netflix au pays pourrait diminuer jusqu'à 320 millions. Explications en cinq questions.

Netflix sera-t-il admissible aux crédits d'impôt au Canada ?

Oui. Selon deux fiscalistes de la firme Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT), Netflix sera admissible, comme tout producteur étranger, aux crédits d'impôt fédéral et provinciaux pour services de production cinématographique. Selon les calculs de RCGT, une série télé admissible tournée au Québec peut bénéficier de crédits d'impôt allant de 28 à 43 % du budget total, selon le type de dépenses. C'est le même crédit d'impôt qui permet au Québec d'attirer des films hollywoodiens comme X-Men. « Oui, [Netflix] se qualifierait pour ce crédit d'impôt pour effectuer un tournage », dit Éric Julien, associé en fiscalité canadienne chez RCGT. Son collègue Alexandre Laturaze, directeur en fiscalité chez RCGT, est aussi d'avis que Netflix est admissible pour réclamer les crédits d'impôt pour services de production cinématographique.

À combien Netflix aura-t-il droit en crédits d'impôt ?

Impossible à dire avec certitude, car Netflix n'a pas dévoilé dans quelle province il investira ses 500 millions sur cinq ans (il faudrait aussi voir le montage financier des projets). Le crédit d'impôt fédéral, applicable sur les dépenses de main-d'oeuvre, est d'environ 8 % au total. Les provinces comme le Québec, l'Ontario et la Colombie-Britannique ont des crédits d'impôt encore plus généreux. Au Québec, le crédit d'impôt varie de 20 % pour les dépenses de tournage à 36 % pour les dépenses en effets visuels. La firme RCGT calcule que le crédit d'impôt total (fédéral-provincial) varie entre 28 et 43 % au Québec, entre 22 et 32 % en Ontario et entre 26 à 34 % en Colombie-Britannique. Hypothèse : en séparant également la somme de 500 millions entre les trois provinces, Netflix obtiendrait de 125 millions (25 %) à 180 millions (36 %) en crédits d'impôt. L'écart entre les deux chiffres s'explique par la bonification du crédit d'impôt pour les effets visuels. Un film avec davantage d'effets visuels aura donc droit à un crédit d'impôt plus élevé.

Netflix investira-t-il donc vraiment 500 millions au pays ?

Théoriquement oui, mais l'entreprise pourra donc ensuite toucher des crédits d'impôt remboursables d'au moins le quart de cette somme (entre 125 et 180 millions). Les 500 millions annoncés jeudi dernier représentent-ils l'investissement de Netflix avant ou après le calcul des crédits d'impôt ? Netflix et le cabinet de la ministre du Patrimoine canadien Mélanie Joly n'ont pas répondu, hier, à cette question au moment de publier.

Netflix doit-il payer de l'impôt au Canada pour bénéficier de ces crédits d'impôt ?

Non, car ces crédits d'impôt sont remboursables. « Ces crédits ont été mis en place en sachant très bien que la propriété intellectuelle était détenue par des studios étrangers. Les crédits sont octroyés dans le but d'attirer une production à Montréal et de faire travailler les artisans d'ici », dit l'avocat fiscaliste Éric Julien. Netflix paiera toutefois des impôts au Canada sur les profits tirés des activités de production de sa nouvelle entreprise canadienne de production, Netflix Canada. La répartition des profits entre la distribution, la propriété intellectuelle et la production est régie par les règles fiscales sur les prix de transfert. Dans ce type de projet, les droits de distribution et la propriété intellectuelle sont généralement détenus par des sociétés étrangères et génèrent des profits largement supérieurs à la production. En bref, les profits de ce type de projets étrangers sont généralement très peu imposés au Canada.

Les producteurs de films/séries télé ont-ils tous droit à ces crédits d'impôt ?

Oui... à condition de ne pas être affiliés à une entreprise de radiodiffusion réglementée au Canada comme le Groupe TVA, le Groupe V Média ou Bell Média. Les concurrents canadiens de Netflix, les sites Tou.tv (Radio-Canada), Club Illico (Groupe TVA/Vidéotron) et Crave TV (Bell Média), sont tous affiliés à une entreprise de télédiffusion... et n'ont donc pas accès aux crédits d'impôt sur la production de services cinématographiques. « La question à se poser, c'est est-ce que notre législation fonctionne bien quand on permet à Netflix d'avoir accès aux crédits d'impôt et qu'on ne permet pas à d'autres diffuseurs d'avoir accès à la même aide fiscale ? », dit le fiscaliste Éric Julien.