Le projet de Commission pancanadienne des valeurs mobilières d'Ottawa n'est pas permis par la Constitution, a indiqué la Cour d'appel du Québec dans un avis rendu mercredi.

C'est la deuxième fois que la Cour d'appel du Québec jette un seau d'eau froide sur les tentatives du fédéral de réglementer les valeurs mobilières. Elle avait également déclaré son précédent projet inconstitutionnel en 2011, peu avant que la Cour suprême ne fasse de même.

Le bras de fer entre Québec et Ottawa à ce sujet dure depuis des années.

C'est d'ailleurs le gouvernement québécois qui avait demandé à la Cour d'appel, à l'été 2015, de se pencher sur la constitutionnalité du projet fédéral.

La province a toujours fait valoir que la réglementation des valeurs mobilières était dans son champ de compétences en vertu de la Constitution et s'insurgeait face aux tentatives d'Ottawa de s'y immiscer.

Le fédéral soutient de son côté que son actuel projet est valide, notamment parce que les provinces ne sont pas obligées d'y adhérer.

Mercredi, un banc de cinq magistrats de la Cour d'appel a rendu cet avis consultatif sur les deux questions posées par Québec, à quatre contre un.

Le juge Mark Schrager s'est abstenu de répondre à la première question portant sur la légalité du régime dans son ensemble - qui comprend deux lois, un protocole d'accord entre les provinces et Ottawa, et une autorité de réglementation unique, supervisée par un Conseil des ministres.

Selon les juges de la majorité, le régime global proposé par Ottawa «entrave la souveraineté parlementaire des provinces participantes et est, partant, inconstitutionnel. Il assujettit en effet la compétence de légiférer des provinces à l'approbation d'une entité extérieure (le Conseil des ministres), ce qui n'est pas permis», peut-on lire dans l'avis.

La cour s'est aussi penchée sur un aspect spécifique de la proposition de régime fédéral, soit la Loi sur la stabilité des marchés des capitaux. Elle a conclu que celle-ci, prise isolément, n'excédait pas la compétence de légiférer du fédéral, sauf en ce qui a trait à quatre articles portant sur le rôle et les pouvoirs du Conseil des ministres qui supervise le régime. Tant et aussi longtemps que ces articles font partie de la Loi, ils la rendent inconstitutionnelle dans son ensemble, ont indiqué quatre juges de la Cour d'appel - le magistrat Schrager étant dissident sur ce point.

Cette décision aura une portée au-delà du Québec, a souligné en entrevue Stéphane Rousseau, titulaire de la Chaire en gouvernance et droit des affaires à la faculté de droit de l'Université de Montréal.

«Il est difficile pour les provinces participantes et le fédéral d'ignorer cet avis-là. C'est comme si on remet en cause fondamentalement leur projet.»

Selon lui, en lisant l'avis de la Cour d'appel, «on se rend compte qu'il y a énormément d'éléments parfois techniques qui ne passent pas la rampe et qui font en sorte que même s'il y a cet esprit de collaboration, de coopération (dans le projet de commission pancanadienne), ça ne peut justifier de mettre de côté certains éléments de base du fédéralisme». Il relève aussi que la remise de pouvoirs entre les mains du Conseil des ministres créé pour le régime pose notamment problème, car ce dernier peut opérer des changements de nature législative, et donc brouiller la séparation prévue entre le législatif et l'exécutif.

«J'espère que ça envoie clair un message clair à Ottawa», a déclaré Jean-Marc Fournier, le leader du gouvernement, auparavant ministre responsable des Affaires intergouvernementales, soulignant que ce n'est pas la première fois que le fédéral s'essaie, sans succès.

M. Fournier est d'avis qu'il ne faut pas toucher à l'actuel régime d'encadrement des valeurs mobilières harmonisé et collaboratif entre les provinces, avec le système des passeports.

«Il n'y a pas lieu de le chambouler puisque ça fonctionne», a-t-il lancé.

Le gouvernement fédéral va examiner l'opinion rendue par la Cour d'appel et réagir en temps opportun, a fait savoir mercredi Daniel Lauzon, le directeur des communications du ministre des Finances Bill Morneau.

Prise un devant les tribunaux

Ottawa avait tenté dans le passé de réglementer les marchés de capitaux et avait subi un revers en 2011.

La Cour suprême du Canada avait alors donné pleinement raison aux provinces qui contestaient les ambitions du fédéral, alors sous la gouverne des conservateurs de Stephen Harper, en reconnaissant, dans un avis unanime, que le projet de loi de l'époque était une «intrusion massive» du Parlement fédéral.

Mais du même souffle, le plus haut tribunal du pays reconnaissait que rien n'empêchait le fédéral et les provinces d'«exercer harmonieusement leurs pouvoirs respectifs» dans le domaine des valeurs mobilières, «dans l'esprit du fédéralisme coopératif».

Se basant ainsi sur les suggestions faites par la cour, Ottawa est revenu à la charge en 2013 avec l'actuel projet - baptisé «régime coopératif de réglementation des marchés de capitaux» afin de le distinguer du précédent - en vue de créer une autorité canadienne des valeurs mobilières à laquelle les provinces seraient libres d'adhérer.

Ottawa soutient qu'un organisme unique pour le pays serait plus efficace et assurerait la stabilité des marchés. Il fait aussi valoir que le système serait plus attrayant pour les investisseurs qui n'auraient pas à affronter la paperasse de toutes les provinces ni à payer des frais multiples.

Cinq provinces et un territoire - dont l'Ontario et la Colombie-Britannique - ont adhéré au projet fédéral. Mais il n'a pas plu à Québec.

Le fédéral peut bien sûr en appeler de cette plus récente décision devant la Cour suprême du Canada.