Le premier ministre Trudeau et le président Trump ont parlé lundi de l'importance des liens commerciaux entre le Canada et les États-Unis. Le nouveau président a dit vouloir apporter des améliorations mineures à l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) qui profiteront aux deux pays plutôt que de simplement déchirer le traité. Comment peut-on améliorer l'ALENA ? La Presse a cherché des réponses auprès d'observateurs attentifs du monde des affaires et du commerce international.

Le bois d'oeuvre



Pomme de discorde entre les deux pays, le commerce du bois d'oeuvre pourrait trouver sa place dans un traité amélioré de libre-échange. C'est d'ailleurs ce que propose le chef de l'opposition officielle à Québec, Jean-François Lisée. La question aurait au moins le mérite d'être réglée pour longtemps. Mais est-ce réalisable ? Probablement pas, croit le professeur Patrick Leblond, de l'Université d'Ottawa, considérant la force du lobby des producteurs de bois américains qui s'accommode fort bien de la situation actuelle. Le secteur a fait l'objet d'entente hors ALENA entre les deux pays. La dernière est échue depuis octobre 2016.

Élargir le traité

L'ALENA a plus de 20 ans et a mal vieilli, selon plusieurs spécialistes. Le Partenariat transpacifique (PTP), dont le président Trump ne veut pas, se voulait aussi une modernisation de l'ALENA en y incorporant des questions autrefois passées sous silence. Par exemple, des chapitres du PTP portent sur l'environnement et le droit du travail. Peut-on inclure ce qui avait de meilleur du PTP et de l'Accord économique et commercial global (AECG) dans l'ALENA nouvelle mouture ? « Il faut être prudent, dit Daniel Boyer, président de la Fédération des travailleurs du Québec. Habituellement, on n'est pas très friand de ce genre d'accords de libre-échange - même si on sait qu'il faut qu'ils existent -, à cause de la façon dont ces accords sont négociés, en cachette. »

Les marchés publics

Le président Trump a un faible pour des dispositions favorisant la production locale, souligne Robert Wolfe, professeur à l'École d'études politiques à l'Université Queen's. Sur la question des marchés publics, les dispositions de l'AECG avec l'Europe vont beaucoup plus loin que ne le fait l'ALENA en visant à la fois les provinces, les municipalités et les sociétés d'État. Cette libéralisation des marchés publics ne manquerait pas d'intéresser les entreprises américaines, croit-il. Il faudra voir quel équilibre cherchera à atteindre M. Trump entre l'ouverture des marchés publics profitant aux entreprises américaines et l'inclusion de dispositions de type Buy America.

La règlementation



Le professeur Robert Wolfe s'est réjoui du paragraphe de la déclaration commune Trudeau-Trump de lundi portant sur la réglementation. « Nous poursuivrons notre discussion à l'égard des questions réglementaires et tenterons d'obtenir des résultats réglementaires communs [...] », ont écrit les deux élus. Selon le professeur, cette phrase constitue un appui aux travaux du Conseil de coopération Canada-États-Unis en matière de réglementation (CCR) créé en 2011 par le tandem Obama-Harper et qui vise l'harmonisation des systèmes de réglementation des deux pays. « Dans les chaînes d'approvisionnement intégrées à l'échelle du continent, les divergences réglementaires peuvent causer plus de mal aux entreprises que des tarifs », soutient-il. « Si on renégociait l'ALÉNA, voudrait-on intégrer ce conseil au sein même de l'ALENA comme ça existe dans l'accord avec l'Europe ? », se demande pour sa part le professeur Patrick Leblond.

Règlement des différends

Le mécanisme de règlement des conflits repose sur la constitution d'un groupe spécial binational de trois personnes dont les membres sont nommés par les deux pays. Ce système a toujours été vu comme une grande victoire canadienne au moment de la conclusion de l'Accord de libre-échange (ALÉ) avec les États-Unis. Les dispositions ont été reprises dans l'ALENA par la suite. Contre leur gré, les Américains ont accepté le mécanisme, mais n'ont pas toujours respecté ses décisions comme on l'a vu avec le bois d'oeuvre. Y a-t-il moyen de corriger le tir sans manquer la cible ?

Poursuites contre les États

Le chapitre 11 de l'ALENA permet aux entreprises qui s'estiment lésées par des politiques à leur endroit de poursuivre l'État en recourant à un mécanisme d'arbitrage. Dans la société civile, d'aucuns reprochent à cette disposition de saper la souveraineté de l'État. Dans le cadre de l'AECG avec l'Europe, ce recours a été encadré. De plus, les Wallons ont obtenu que soit mis sur pied un tribunal permanent, composé de 15 juges nommés par l'UE et le Canada, dont toutes les auditions seront publiques. Une disposition, selon eux, qui limite le risque de conflits d'intérêts inhérent au mécanisme d'arbitrage ad hoc.

photo Jacques Boissinot, archives la presse canadienne

Le lobby des producteurs de bois américains s'accommode fort bien de la situation actuelle.

photo Sean Kilpatrick, la presse canadienne

Justin Trudeau et Donald Trump