Une dispute entre deux amis montréalais a permis à la Cour suprême de statuer qu'une vente d'actions peut être valable même en l'absence de signatures ou de documents formels.

L'histoire oppose Mario Rosatti à un ami d'enfance, Mario Mennillo, et implique l'entreprise de transport Intramodal, officiellement mise sur pied par les deux hommes.

Elle débute en 2004, quand M. Rosatti, employé d'une société de transport, mijote le plan de lancer sa propre entreprise. Il offre à M. Mennillo, mieux disposé financièrement, de fournir le capital tandis que lui s'occupera des activités. Question de réserver le nom « Intramodal », ils acheminent rapidement une demande d'incorporation sous charte fédérale. M. Rosatti est actionnaire à 51 %, le financier Mennillo prend 49 %.

Il faudra toutefois encore un an et demi avant que M. Rosatti fasse le saut et que l'entreprise lance réellement ses activités. Une rencontre cruciale survient le 25 mai 2005. Selon la version retenue par les tribunaux, M. Mennillo y aurait alors clairement exprimé son intention de retirer ses billes de l'entreprise, tout en acceptant de financer son ami à titre personnel.

L'avocat d'Intramodal aurait toutefois erré par la suite, aidé en ce sens par le peu d'intérêt des deux comparses pour les formalités administratives. La démission de M. Mennillo du conseil d'administration est bien signée, mais aucun document n'atteste du transfert de ses actions. Pas plus, d'ailleurs, que les procès-verbaux de l'entreprise n'ont enregistré leur émission, à la base.

Le conflit éclate en 2007, quand MM. Rosatti et Mennillo sont attablés dans un chic restaurant montréalais. M. Rosatti offre de régler l'addition, ce à quoi s'oppose M. Mennillo, croyant son ami trop pauvre pour le faire. Il apprend alors que les affaires d'Intramodal vont plutôt bien et se met en tête de réclamer sa part des actions de l'entreprise. Au terme de discussions et d'une entente à l'amiable pour le remboursement de ses prêts, il dépose un recours en oppression.

FORMALISME CONTRE CONTEXTE

La Cour suprême a statué à huit juges contre un en faveur de M. Rosatti et d'Intramodal. Les juges majoritaires se divisent toutefois en deux groupes.

Un premier, qui inclut la juge en chef Beverley McLachlin, estime qu'il n'est même pas nécessaire de s'attarder à la validité du transfert d'actions. Comme M. Mennillo a, dans les faits, cessé d'agir comme actionnaire participatif et avait clairement demandé à ne plus être actionnaire, il ne « pouvait raisonnablement s'attendre à ce que les registres de la société continuent de faire état de sa qualité d'actionnaire », d'où son incapacité à déposer un recours en oppression.

Un deuxième groupe de six juges, sous la plume du juge Thomas Cromwell, retient cet argument, mais va aussi plus loin.

« Il cite l'arrêt BCE, survenu en 2008, selon lequel le formalisme est une chose, mais la réalité commerciale et l'intention des parties en est une autre », résume Hubert Camirand, l'avocat qui a représenté Intramodal tout au long des procédures.

« Ce qu'il dit, c'est qu'entre les deux individus, ils ont décidé que les actions étaient vendues. Mennillo a dit : "Tu achètes mes actions", et Rosatti était d'accord avec ça. Que la compagnie n'ait ensuite pas suivi les formalités, ça aurait pu peut-être mener à un recours en nullité du transfert d'actions, mais ç'aurait de toute façon été difficile parce que Mennillo ne peut pas prétendre à la nullité d'un acte qu'il a demandé. Et de toute façon, ce recours était prescrit. »