Alors que le nouvel ambassadeur canadien à Washington se dit relativement « optimiste » quant aux négociations commerciales à venir entre le Canada et les États-Unis, l'ex-ambassadeur Raymond Chrétien y est allé d'un message un peu moins encourageant, hier.

L'ancien diplomate, qui a représenté le Canada à Washington entre 1994 et 2000, s'est montré inquiet des visées protectionnistes martelées par le président désigné Donald Trump tout au long de sa campagne électorale. « Cela n'augure rien de bon pour la protection de nos intérêts au cours des années à venir », a-t-il avancé devant un parterre de 300 invités réunis par le Conseil des relations internationales de Montréal.

« Les Américains, ils négocient bec et ongles pour leurs intérêts, et comme ils sont plus riches et plus puissants que nous, il faut toujours se méfier et se battre pour défendre nos intérêts. »

« C'est une constante que j'ai vécue pendant mes sept ans à Washington », a ajouté M. Chrétien.

Avant cette brève allocution de M. Chrétien, l'actuel ambassadeur à Washington, David MacNaughton, a exposé dans un discours certains des défis qui attendent le Canada aux États-Unis. Les dossiers litigieux du bois d'oeuvre et de l'agriculture figurent parmi les écueils à l'horizon.

« Je ne dis pas qu'il n'y aura pas d'enjeux, a souligné M. MacNaughton. Oui, il y aura des difficultés, mais les facteurs fondamentaux de notre relation [avec les États-Unis] ne changeront pas. »

Menaces sérieuses

Pendant sa campagne, Donald Trump a menacé à plusieurs reprises d'abroger, voire répudier l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), conclu en 1994 entre le Canada, le Mexique et les États-Unis. Selon une note interne obtenue mardi par le réseau CNN, l'ex-vedette de téléréalité entend bel et bien aller de l'avant avec cette promesse électorale.

Le document, qui provient de l'équipe de transition de Trump, indique que Washington s'apprête à adopter « une approche agressive, protectionniste à l'égard des échanges avec le Mexique et le Canada ». La note souligne que le président entamera des démarches dès son entrée en poste le 20 janvier prochain pour redéfinir la politique commerciale américaine. Des instructions seront données au département du Commerce pour étudier les implications d'un retrait américain de l'ALENA.

L'ambassadeur canadien entend mettre de l'avant une force spéciale pour convaincre l'administration Trump - et le peuple américain - des avantages que les États-Unis tirent de l'ALENA. Un véritable travail « d'éducation », a-t-il convenu hier. David MacNaughton et son équipe compilent depuis l'été dernier plusieurs exemples concrets.

« Je pense que quand le département du Commerce va regarder cela, il va réaliser que l'entente a été avantageuse pour les États-Unis, a-t-il dit dans un point de presse après son discours. Nous l'avons dit déjà : si des améliorations peuvent être faites, qui profiteront au Canada, nous allons avoir une conversation, mais la réalité est que cette entente a profité aux trois pays. »

Sans le Mexique?

Même s'il insiste sur l'importance des trois pays au sein de l'ALENA, David MacNaughton, nommé cette année par Justin Trudeau, a confirmé qu'il priorisera d'abord et avant tout les intérêts du Canada dans le cadre de la négociation à venir. Quitte à faire cavalier seul sans le Mexique.

« Je pense que les intérêts du Canada sont mieux défendus en ayant une relation tripartite, mais d'abord et avant tout, nous allons chercher à protéger les Canadiens et les emplois des Canadiens, et je présume que les Mexicains vont faire la même chose. »

Le diplomate a souligné que l'Accord de libre-échange canado-américain (ALE), conclu en 1988 entre le Canada et les États-Unis, reviendrait probablement en vigueur si jamais Donald Trump mettait la hache dans l'ALENA. Il s'est toutefois dit « optimiste » que les partenaires parviendront à s'entendre.

Bois d'oeuvre

Dans le dossier du bois d'oeuvre, David MacNaughton reconnaît que les négociations s'annoncent corsées. Il a salué les modifications apportées au régime forestier québécois, qui ne changeront cependant rien au désir des Américains de mieux encadrer cette industrie, selon lui.

Raymond Chrétien, qui agit comme négociateur en chef du Québec dans le dossier du bois d'oeuvre, a rappelé que 60 000 emplois dépendent de cette industrie au Québec. « Si une entente n'est pas conclue rapidement, je peux vous assurer, monsieur l'ambassadeur, que ce dossier risque de polluer l'atmosphère commerciale entre les deux pays au cours des prochaines années », a-t-il dit dans son mot de remerciement à David MacNaughton.

Signe de l'ouverture du Canada à la négociation, le ministre des Finances Bill Morneau s'est montré ouvert à discuter des dossiers les plus litigieux avec les Américains, hier, en vue de parvenir à une solution « gagnant-gagnant ». Selon des propos rapportés par le Globe and Mail, le ministre Morneau se dit « prêt » à entamer des discussions, après une réflexion qui a duré plusieurs mois.

9 millions d'emplois

Le gouvernement Trudeau brandira un chiffre tous azimuts si la nouvelle administration de Donald Trump veut renégocier l'Accord de libre-échange nord-américain : neuf millions. Il s'agit du nombre d'emplois aux États-Unis qui dépendent des liens économiques étroits qui ont été tissés au fil des années avec le Canada, a répété à quelques reprises hier à la Chambre des communes le ministre de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Bains. Ces emplois pourraient être mis en péril si le président désigné Donald Trump met à exécution sa menace de déchirer l'ALENA s'il ne peut obtenir des changements avantageux pour les États-Unis, a souligné hier le ministre Bains. « Il ne fait aucun doute que l'ALENA est important pour le Canada. Mais ce l'est aussi pour les États-Unis. Le Parti conservateur a par ailleurs reproché hier au gouvernement Trudeau d'avoir rapidement indiqué sa volonté de renégocier l'ALENA.

- Avec Joël-Denis Bellavance, La Presse