L'Agence du revenu du Canada va-t-elle trop loin en demandant à des quincailleries de lui fournir les listes de leurs clients commerciaux afin de contrer l'évasion fiscale? Pas nécessairement, répond une avocate spécialisée.

Dans une requête datée de décembre 2015 obtenue par Le Journal de Montréal, Revenu Canada demande à Rona de lui fournir la liste de tous les particuliers et entreprises ayant un compte chez elle. Rona, qui appartient désormais au détaillant américain Lowe's, conteste la requête, y voyant une forme d'«intimidation» à l'endroit de l'industrie de la construction.

Or, une vingtaine d'entreprises de quincaillerie québécoises ciblées par le fisc ont déjà accepté de remettre leurs listes de clients, dont Groupe BMR pour ses 15 magasins non franchisés. Notons que la démarche ne vise pas les commerçants, mais leurs clients.

«Quand on a reçu cette demande-là, évidemment, ça nous a surpris, a affirmé hier Stéphanie Couturier, porte-parole de BMR. On savait que c'était de l'information qui était quand même sensible: des données sur nos clients. Mais on s'est renseignés auprès de nos avocats, puis on a vu qu'on devait collaborer, alors on l'a fait.»

Dans les listes remises par la vingtaine d'entreprises, Revenu Canada a dénombré plus de 6500 clients commerciaux, dont 1277 (soit près de 20%) «avaient omis de produire leur déclaration d'impôt pour au moins une année d'imposition sur la période s'échelonnant de 2008 à 2012», peut-on lire dans un document cité par Le Journal de Montréal.

«PARTIES DE PÊCHE»

La loi interdit au fisc de mener des « parties de pêche », c'est-à-dire des enquêtes dont l'objectif est mal défini, confirme Caroline Desrosiers, avocate en litiges fiscaux. Pour qu'une requête du fisc soit jugée acceptable par les tribunaux, elle doit porter sur un groupe de contribuables facilement «identifiable» et ne pas occasionner un fardeau trop lourd à l'entreprise qui la reçoit.

«Dans ce cas-ci, est-ce qu'ils ont demandé les listes de tous les clients commerciaux ou seulement ceux qui ont payé comptant ? demande Me Desrosiers. Est-ce qu'il y a une façon facile pour Rona d'extraire cette information-là?»

Caroline Desrosiers observe que Revenu Canada et Revenu Québec multiplient les requêtes de ce type depuis quelques années. «Avant, ils envoyaient des cotisations aux clients des travailleurs au noir, mais il y a eu beaucoup de contestations dans cette lignée-là, alors là, ils essaient de faire des vérifications en amont», souligne-t-elle.

«On ne peut pas nécessairement lancer la pierre au fisc, soutient l'avocate. Je pense que l'intention est bonne, mais est-ce que cette demande faite à Rona est trop large? C'est possible.»

Revenu Québec estime que dans le secteur de la construction, les pertes fiscales liées à l'économie au noir s'élèvent à 1,5 milliard par année.