Les gouvernements sont déficitaires sur le plan fiscal avec le Grand Prix du Canada, selon une nouvelle étude commandée par Tourisme Québec, la Ville de Montréal, Tourisme Montréal et Groupe de course Octane, promoteur de l'événement. Autre grande conclusion de cette étude: les retombées économiques du Grand Prix sont de 42,4 millions, et non de 89 millions selon l'estimation de Québec depuis 2009 ou de 71 millions selon celle d'Ottawa en 2015.

D'après la nouvelle étude - la première mesurant les retombées économiques et fiscales de la course avec des données recueillies directement auprès de spectateurs -, le Grand Prix du Canada génère des retombées fiscales de 8,1 millions à Québec et Ottawa. Les trois ordres de gouvernement (Ottawa, Québec, Montréal) et Tourisme Montréal paient en moyenne 18,6 millions par an jusqu'en 2024 à Formula One Management (FOM), la société européenne dirigée par Bernie Ecclestone et propriétaire de la F1, pour avoir le droit de présenter le Grand Prix.

En pratique, le déficit fiscal est inférieur à 10,5 millions car les gouvernements et Tourisme Montréal reçoivent aussi des redevances sur les billets. Ce montant n'est pas public, mais il était d'environ 4 millions par an sous l'ancienne entente qui a pris fin en 2014.

Le gouvernement Trudeau ne s'inquiète pas du fait que les retombées fiscales sont plus faibles que les subventions des gouvernements à FOM. Ottawa doit payer en moyenne 6,2 millions et reçoit 2,4 millions en recettes fiscales, selon l'étude. Un déficit fiscal de 3,8 millions avant redevances.

«Plusieurs éléments avec un lien direct ou indirect ne sont pas tenus en compte, comme les retombées des gens qui résident dans la région de Montréal, les retombées médiatiques à l'international, et toute autre activité tenue le week-end du Grand Prix où les participants ne se sont pas rendus sur le site de la course», a dit Philip Proulx, attaché de presse du ministre fédéral du Développement économique, Navdeep Bains.

Le gouvernement du Québec s'en tire mieux: recettes fiscales de 5,7 millions, subventions de 5,0 millions, soit un surplus fiscal de 700 000 $ avant redevances. Le ministre québécois des Finances, Carlos Leitao, n'a pas commenté le dossier hier.

La Ville de Montréal contribue à hauteur de 1,2 million par an, et Tourisme Montréal, 6,2 millions par an par l'entreprise d'une taxe sur l'hébergement.

Dans un communiqué de presse publié vendredi dernier lors de la publication de l'étude, le maire Denis Coderre indiquait que le Grand Prix «fait partie de la signature de Montréal et nous procure une visibilité extraordinaire, tant au Canada qu'à l'étranger».

Nouvelle étude

Même si les gouvernements subventionnent la F1 depuis 2009, aucune étude de retombées économiques n'avait pas réalisée à partir de données fiables.

En 2009, le ministère des Finances du Québec avait évalué que Québec et Ottawa recevaient 18,0 millions en recettes fiscales, en raison des retombées économiques de 89,3 millions générées par le Grand Prix. Québec avait fait ces calculs à partir de données recueillies par Tourisme Montréal, mais l'organisme touristique n'assume pas la responsabilité de ces données qu'il a recueillies dans des conférences de presse, des déclarations publiques et auprès du promoteur de l'événement.

Pour l'entente 2015-2024, les gouvernements versent 18,6 millions par an à FOM.

En 2011, l'organisme Tourism Victoria, en Australie, a commandé une étude à la firme Ernst & Young pour les retombées économiques du Grand Prix d'Australie. La conclusion de cette étude de 66 pages: les retombées économiques de la course - dont le nombre de spectateurs est similaire à celle de Montréal - sont de 32,6 millions.

En 2015, Tourisme Québec, la Ville de Montréal, Tourisme Montréal et Groupe de course Octane ont donné le mandat à une firme (Ad hoc recherche) et à un économiste (Gilles Joubert) de mesurer les retombées économiques et fiscales du Grand Prix du Canada à partir d'un sondage auprès de spectateurs. Environ 8000 des 93 273 spectateurs qui se sont rendus sur l'île Notre-Dame l'an dernier ont été sondés.

Nouvelle méthodologie

En vertu d'une méthodologie déterminée par Québec et Montréal, seules les dépenses des spectateurs de l'extérieur de la région de Montréal (40 km) venus «surtout en raison du Grand Prix» (les «visiteurs totalement centrés» dans la jargon) ont été prises en compte pour calculer les retombées économiques réelles, évaluées à 42,4 millions (valeur ajoutée au prix du marché à l'économie du Québec).

Les dépenses des touristes venus en partie pour le Grand Prix (les «visiteurs partiellement centrés») n'ont pas été incluses dans cette somme.

L'ensemble des dépenses touristiques des visiteurs de l'extérieur de Montréal et des dépenses du promoteur est de 90 millions. En soustrayant les dépenses comptées deux fois et les dépenses des visiteurs ne s'étant pas déplacés à Montréal pour le Grand Prix (mais qui y ont tout de même assisté), cette somme est réduite à 66 millions.

En comptant seulement les dépenses générées par les touristes totalement centrés, la somme est de 61 millions. Sur cette somme, les auteurs calculent qu'environ 20 millions ont été dépensés en biens importés qui n'ont pas d'impact économique au Québec.

La «valeur ajoutée», ou «contribution finale», du Grand Prix du Canada à l'économie est ainsi de 42,4 millions. Le Grand Prix contribue à la création ou au maintien de 640 emplois.

Enthousiasme

L'étude a été rendue publique par communiqué de presse vendredi après-midi dernier.

Dans ce communiqué, le PDG de Tourisme Montréal, Yves Lalumière, souligne la «valeur touristique indéniable» du Grand Prix. La ministre québécois du Tourisme, Julie Boulet, souligne sa «portée significative sur notre économie». 

Le promoteur local du Grand Prix, Groupe de course Octane, se dit quant à lui «heureux que l'étude [...] confirme» son statut «d'événement sportif le plus important au pays, en termes de retombées de nature touristique», selon son président et actionnaire François Dumontier.

Groupe de course Octane a référé nos questions hier à Tourisme Montréal.

Les trois experts consultés par La Presse, les économistes Pierre Emmanuel Paradis (AppEco) et Pierre-Carl Michaud (HEC Montréal) ainsi que le professeur en comptabilité financière Michel Magnan (Concordia), ont tous salué la qualité de la démarche méthodologique de l'étude rendue publique vendredi.

UNE ENTENTE RENTABLE ?

Ainsi, les divers ordres de gouvernement paient 18,6 millions par année au propriétaire de la F1, Formula One Management - l'entreprise dirigée par Bernie Ecclestone -, pour générer des retombées fiscales de 8,1 millions et des retombées économiques de 42,4 millions. Est-ce une bonne affaire ? La Presse a sondé quatre experts.

Pierre Emmanuel Paradis, économiste et président d'AppEco, une firme de consultation en économie appliquée

« En termes d'effet de levier, 18 millions, c'est un peu gros pour obtenir 42 millions. Mais le gouvernement doit réfléchir à l'ensemble de l'économie sur le plan social et non seulement budgétaire. C'est 18 millions pour 42 millions et d'autres données que nous n'avons pas [les dépenses de touristes en ville qui ne vont pas au Grand Prix et la visibilité internationale]. En comptant les dépenses privées [les dépenses du promoteur] et les dépenses publiques [un total de 43 millions pour les deux], on arrive à peu de choses près à un effet neutre sur l'économie. Il y a aussi un tourisme lié à la visibilité internationale du Grand Prix au fil des ans. »

Pierre-Carl Michaud, professeur d'économie à HEC Montréal

« Ça dépend de l'objectif. Si c'est du tourisme, c'est probablement un bon rendement, je ne crois pas qu'un autre événement peut attirer autant. Si l'objectif est la croissance économique, ce n'est pas clair. Ce sont des choix politiques de décider ce qu'on va prioriser, dans la mesure où ce n'est pas clair que le gouvernement peut intervenir dans l'économie et de générer des rendements économiques énormes. »

Pierre Bellerose, vice-président, relations publiques et recherche, Tourisme Montréal

« Il y a peut-être [eu] une confusion, c'était des estimations [90 millions en retombées économiques selon le ministère des Finances du Québec]. On se basait beaucoup sur la perte d'hôtellerie entre juin 2008 et juin 2009. Nous avons toujours pensé que les dépenses touristiques allaient entre 80 et 90 millions. Pour l'industrie touristique, notre investissement en vaut la peine. On est satisfaits de l'impact : 90 millions de dépenses, l'impact médiatique. Pour les gouvernements, s'ils sont satisfaits ou non, il faut leur demander. »

Michel Magnan, professeur en comptabilité financière à l'Université Concordia

« Cette étude permet peut-être un débat un peu plus rationnel. Le promoteur a divulgué des informations, ce qui n'était pas le cas auparavant. Cette étude-ci ressemble pas mal à l'étude de [Tourisme Victoria] pour l'Australie. Avoir des chiffres en main aurait permis d'aider à négocier. Maintenant, ce que ça ne comprend pas, c'est la notion de visibilité à Montréal avec la télédiffusion à travers le monde. C'est difficile à quantifier. Est-ce qu'on attire plus de touristes à l'avenir avec ça ? On pourrait faire d'autres sondages auprès de touristes étrangers, mais c'est une autre histoire. »

EN CHIFFRES

25 MILLIONS

Total des dépenses de Groupe de course Octane

Il s'agit des dépenses totales de Groupe de course Octane, le promoteur local du Grand Prix du Canada. Il s'agit d'une propriété appartenant à l'homme d'affaires québécois François Dumontier. Cette somme de 25 millions comprend toutes les dépenses pour organiser le Grand Prix, dont les sommes payées par le promoteur à Formula One Management, une société européenne qui détient les droits de la F1.

52 %

Proportion de spectateurs de l'extérieur du Québec

En 2015, 52 % des 93 273 spectateurs provenaient de l'extérieur du Québec; 68 % provenaient de l'extérieur de la région de Montréal; 18 % provenaient des États-Unis; et 13,2 % de pays autres que le Canada et les États-Unis.

42,4 MILLIONS

Valeur ajoutée du Grand Prix du Canada à l'économie du Québec

Ce sont les retombées économiques en vertu de l'étude rendue publique vendredi dernier par Québec, Montréal, Tourisme Montréal et Groupe de course Octane. Plus précisément, il s'agit de la valeur ajoutée à l'économie du Québec des dépenses des spectateurs du Grand Prix qui ne vivent pas dans la région de Montréal (40 km) et qui sont venus à Montréal surtout pour le Grand Prix (les « visiteurs totalement centrés »). Les visiteurs qui sont venus en partie pour le Grand Prix (les « visiteurs partiellement centrés ») ne sont pas comptés dans les calculs (une décision méthodologique de Tourisme Montréal et de ses partenaires gouvernementaux). Environ 8000 spectateurs du Grand Prix en 2015 ont été sondés pour cette étude. Il y a eu 93 273 spectateurs qui ont effectué 244 374 entrées durant le week-end du Grand Prix en 2015.

310 MILLIONS

Nombre de téléspectateurs dans le monde

Nombre de téléspectateurs qui ont regardé le Grand Prix du Canada le dimanche de la course dans 150 pays.

66 MILLIONS

Total des dépenses

Tourisme Montréal fait valoir que le total des dépenses touristiques est de 90 millions. C'est exact, sauf qu'en enlevant les doubles comptes (les mêmes dépenses comptées deux fois), l'étude arrive plutôt à des dépenses admissibles de 66 millions pour les visiteurs de l'extérieur de Montréal et le promoteur (Groupe de course Octane). En excluant les dépenses des visiteurs venus à Montréal surtout pour le Grand Prix (les visiteurs totalement centrés), des écuries et autres invités de la F1, les dépenses passent à 61 millions - c'est à partir de ce chiffre que les retombées économiques (valeur ajoutée) de 42,4 millions ont été calculées. L'étude calcule que près de 20 millions ont été dépensés en biens importés, ce qui ne contribue pas au PIB du Québec.

1000 $

Dépenses moyennes des visiteurs centrés

Les spectateurs venus à Montréal surtout pour le Grand Prix du Canada (les visiteurs centrés) dépensent en moyenne 1000 $. Au total, ces 52 688 visiteurs centrés ont dépensé 53 millions de dollars au Québec. Les visiteurs venus en partie pour le Grand Prix dépensent en moyenne 883 $. Ces 7897 visiteurs partiellement centrés ont dépensé au total 7 millions. Les écuries de F1 ont dépensé 4 millions et les médias, officiels et représentants, 1 million.