À la veille du dépôt du budget fédéral, Clément Gignac est clair. Les gros déficits temporaires sont nécessaires pour relancer l'économie et contrer les forces déflationnistes. Et le Canada est à l'avant-garde pour propager cette idée à d'autres pays du G7. Explications de l'ancien ministre québécois du Développement économique, aujourd'hui économiste en chef et gestionnaire de fonds pour l'Industrielle Alliance.

MARGE DE MANOEUVRE

Les conservateurs ont bien géré les finances publiques. Sous leur règne, le ratio d'endettement du pays a baissé. Il y a même eu trois années de surplus. « Le nouveau gouvernement doit profiter de cette marge de manoeuvre pour stimuler l'économie », dit M. Gignac. De plus, souligne-t-il, les libéraux ont déjà préparé la population à des déficits de 10 à 15 milliards. La table est mise. Mais il faudra aller plus loin, précise-t-il.

DÉFICITS IMPOSANTS

Demain, le ministre Bill Morneau présentera son premier budget. M. Gignac s'attend à un déficit de 30 milliards. Pour les années suivantes, ils pourraient s'élever jusqu'à 40 milliards. « Mais après quatre ans, il faudra ramener le déficit sous la barre des 30 milliards pour stabiliser le ratio d'endettement », dit-il. Par exemple, si l'économie croît de 2 % par an, le déficit annuel devra suivre au même rythme.

ÊTRE PRAGMATIQUE

Les conservateurs ont aussi utilisé les déficits pour sortir le pays de la crise financière de 2008. « Mais c'était temporaire, dit Clément Gignac. C'était une évidence et un dogme, pour eux, de revenir à l'équilibre budgétaire. » L'économiste prône le pragmatisme. Puisque le Canada en a les moyens, il peut utiliser l'outil budgétaire. Et il doit accompagner les efforts de la Banque du Canada pour relancer l'économie.

CERCLE VICIEUX

Faire tout reposer sur la politique monétaire, et ses baisses de taux d'intérêt, nous mène en zone dangereuse, dit M. Gignac. La clé : redonner de l'oxygène à l'économie. « L'austérité, dans un contexte où l'investissement privé est faible, conduit à la déflation et à des distorsions », dit-il. Du coup, les gens épargnent plus. Et l'économie s'engage dans un cercle vicieux. « C'est ce qu'il faut éviter », dit-il.

FAIBLES TAUX

Pour sortir de la « spirale austérité/déflation », le gouvernement doit pousser à la roue. Le moment est idéal, constate M. Gignac. Les taux sont à des paliers historiques. « On n'a jamais vu des taux à long terme aussi faibles en 50 ans [1,25 % sur 10 ans], dit-il. Quand on emprunte à ces niveaux, il y a beaucoup de projets qui tiennent la route. » Le plan cible, entre autres, les infrastructures.

INVESTISSEMENTS STRATÉGIQUES

« Avec des taux aussi bas, c'est encore plus justifié d'utiliser la marge de manoeuvre budgétaire pour faire des dépenses en immobilisations », dit-il. Selon lui, le gouvernement a intérêt à investir dans les projets de transports collectifs. Il doit aussi s'intéresser aux liens rapides entre les grandes villes. « Aujourd'hui, ça devient plus important de déplacer les cerveaux que les marchandises », explique l'économiste.

LEADER INTERNATIONAL

Clément Gignac pense que le gouvernement Trudeau mettra l'austérité au rancart dès demain. « Il montrera la voie aux autres pays du G7. Il n'hésitera pas à afficher un gros déficit pour stimuler l'économie et contrer la déflation, dit-il. En ce sens, il sera à la fois un modèle et un précurseur pour les pays en mesure de le faire. » À son avis, l'Allemagne et le Royaume-Uni ont la marge de manoeuvre nécessaire.

NOUVELLE APPROCHE

Membre de la Conference of Business Economists de Washington, M. Gignac a présenté, le mois dernier, cette approche à ses collègues. La quarantaine d'économistes, surtout américains, mais aussi européens, asiatiques et mexicains, se demandent comment réagira le gouvernement fédéral. « Ils sont impatients de voir si le Canada sera le premier à se lancer, dit-il. La question était : en aura-t-il le courage ? »