À quand le retour à l'équilibre budgétaire ? Pas pour demain, et il faudra s'habituer à des déficits importants, selon les économistes consultés par La Presse. Deux des trois spécialistes consultés pensent que le gouvernement Trudeau ne reviendra pas à l'équilibre budgétaire avant la fin de son mandat en 2019-2020, et le troisième se dit à l'aise avec un déficit jusqu'à 40 milliards l'an prochain. Tour d'horizon en quatre questions.

AVEC QUELS DÉFICITS BUDGÉTAIRES FÉDÉRAUX SERIEZ-VOUS À L'AISE AU COURS DES QUATRE PROCHAINES ANNÉES ?

Ottawa a annoncé lundi que le déficit fédéral sera d'au moins 18,4 milliards en 2016-2017, comparativement à un déficit prévu de 3,9 milliards lors de la mise à jour économique en novembre. Et c'est sans compter le reste des promesses libérales, qui gonfleraient le déficit à 26,6 milliards en 2016-2017. Ottawa prévoit aussi un déficit minimal (avant le reste des promesses) de 15,5 milliards en 2017-2018. Les chiffres n'ont pas été mis à jour pour 2018-2019 et 2019-2020.

FRANÇOIS DUPUIS

M. Dupuis se dit à l'aise avec un déficit de 40 milliards (2 % de l'économie canadienne) en 2016-2017. « Ce serait tolérable pour la première ou la deuxième année. Après, il va falloir regarder comment l'économie se comportera », dit-il, suggérant ensuite un déficit entre 10 et 15 milliards en 2017-2018 et en 2018-2019. « Le déficit devrait baisser avec la reprise des exportations hors énergie, dit-il. Un jour ou l'autre, les entreprises vont reprendre les investissements. »

STÉFANE MARION

M. Marion pense qu'Ottawa peut faire des déficits d'environ 30 milliards par année (1,5 % du PIB) durant au moins trois ans, à condition que le ratio dette/PIB reste stable. « Tu peux le tolérer si tu as une croissance pas trop anémique de l'économie, dit-il. Ça fait en sorte que tu gardes ton ratio dette/PIB relativement stable, un objectif duquel le gouvernement ne voudra pas vraiment dévier. [...] Dans un contexte de banques centrales qui peinent à stimuler leurs économies, le Canada est l'un des rares pays qui a le plus de marge de manoeuvre à ce niveau-là. On va devoir rouler avec les coups de l'économie mondiale. »

DOUGLAS PORTER

M. Porter, préférerait plutôt des déficits inférieurs à 20 milliards (1 % du PIB), sauf peut-être en 2016-17. « Ce serait acceptable, surtout si les prix du pétrole restent bas et l'économie mondiale continue d'avoir des difficultés, dit-il. Ça se gère relativement bien et c'est assez important pour faire une différence pour supporter la croissance économique », dit-il.

QUAND DOIT-ON REVENIR À L'ÉQUILIBRE BUDGÉTAIRE À OTTAWA ?

En théorie, l'objectif est de revenir à l'équilibre budgétaire en 2019-2020, mais le ministre fédéral des Finances Bill Morneau a précisé lundi que le retour à l'équilibre budgétaire « pourrait être un peu plus long que prévu ».

FRANÇOIS DUPUIS

Des trois économistes, François Dupuis est le seul qui prône un retour à l'équilibre budgétaire en 2019-2020, en raison des prévisions économiques plus encourageantes à partir de 2017-2018. « C'est important de revenir à l'équilibre budgétaire, à moins que l'économie ne dérape et qu'il y ait un autre choc sur l'économie canadienne », dit l'économiste en chef du Mouvement Desjardins.

STÉFANE MARION

« Ce serait étonnant qu'on soit de retour à l'équilibre budgétaire pour les prochaines élections générales, le ministre a déjà dit adieu à ce plan-là », dit Stéfane Marion, qui estime « prématuré » de donner une année précise pour le retour à l'équilibre budgétaire alors qu'il prévoit un ralentissement de la croissance de l'économie américaine en 2017. « Pourquoi j'irais avec un resserrement de ma politique budgétaire dans un contexte de ralentissement de l'économie américaine ? », dit l'économiste en chef de la Banque Nationale, qui prévoit un déficit fédéral d'environ 18 milliards en 2019-2020, dernière année du mandat du gouvernement Trudeau.

DOUGLAS PORTER

M. Porter ne veut pas non plus avancer de date pour le retour à l'équilibre budgétaire. Dans le contexte actuel, « on devrait y aller une année à la fois », dit l'économiste en chef de BMO Marché des capitaux.

QUELLES SERAIENT LES CONSÉQUENCES DE DÉFICITS TROP ÉLEVÉS ?

Le ministre Bill Morneau pense qu'un retour trop hâtif à l'équilibre budgétaire aurait des effets néfastes sur l'économie. « Cela nous conduirait sans doute vers une autre récession. [...] Après 10 ans de faible croissance, ce n'est pas la chose dont nous avons besoin », a-t-il dit hier devant le comité des finances de la Chambre des communes.

FRANÇOIS DUPUIS

« Le gouvernement doit chercher des dépenses non récurrentes, car on veut retourner à l'équilibre budgétaire, idéalement des dépenses en infrastructures collectives avec un multiplicateur élevé », dit François Dupuis, qui s'attend aussi à des mesures pour stimuler la consommation (ex. : baisse de la TPS, crédits d'impôt spéciaux) pour 2016-2017.

STÉFANE MARION

« L'important, c'est de ne pas avoir de dérapage dette/PIB comme on en a assisté dans les années 90, dit Stéfane Marion. Je ne pense pas que les investisseurs étrangers vont nous pénaliser, les déficits ne seront pas pour payer l'épicerie. »

DOUGLAS PORTER

Des trois économistes, Douglas Porter est celui qui aimerait que les déficits soient les moins élevés, mais il convient que « les conséquences à court terme ne seraient pas si sérieuses ». « Même avec quatre ans d'un déficit de 30 milliards par an, la dette serait relativement en contrôle par rapport à d'autres pays. Mais si nous avons 30 milliards par an et que l'économie ne s'améliore pas, nous pourrions être dans une situation déplaisante [ugly]. »

IL N'Y A PAS SIX MOIS, LES PARTIS POLITIQUES FÉDÉRAUX FAISAIENT CAMPAGNE AVEC DES CADRES FINANCIERS BIEN DIFFÉRENTS DES CHIFFRES ACTUELS. À QUI LA FAUTE ?

En campagne électorale, les libéraux de Justin Trudeau parlaient de « déficits modestes » inférieurs à 10 milliards par année. Pour leurs cadres financiers, les trois principaux partis fédéraux se sont appuyés soit sur les chiffres du dernier budget au printemps (les conservateurs et les néo-démocrates), soit sur les chiffres révisés du Directeur parlementaire du budget sur la base des prévisions économiques de la Banque du Canada en juillet (les libéraux), tout de même inférieurs au consensus des économistes du secteur privé à l'époque.

FRANÇOIS DUPUIS

« Je ne mettrais pas toute la faute sur les cadres financiers, dit François Dupuis. [...] On est pris dans un tourbillon de révisions à la baisse [après les élections]. Le choc est important sur l'économie canadienne. On disait que les investissements des entreprises et les exportations prendraient le relais, mais on voit que c'est difficile. »

STÉFANE MARION

« La baisse du prix du pétrole a été beaucoup plus violente que prévu, dit Stéfane Marion. Personne ne l'a vue venir, ni la Banque du Canada, ni le ministère des Finances, ni les économistes. »

DOUGLAS PORTER

« Pour être juste envers les politiciens, les perspectives économiques ont beaucoup changé après les élections, dit Douglas Porter. Nous [BMO] pensions alors que la croissance pourrait être jusqu'à 2,5 % pour 2016. Depuis ce jour, tout a commencé à mal aller. C'était une situation exceptionnelle, un peu parce que les perspectives économiques étaient trop optimistes l'an dernier. Mais c'est vrai qu'on sentait [à l'automne] que les chiffres du budget étaient trop optimistes. »

- Avec la collaboration de Joël-Denis Bellavance, La Presse