Le gouvernement de Justin Trudeau mettra fin aux vérifications des activités politiques des organismes de bienfaisance, une mesure imposée par les conservateurs qui avait été décriée à l'époque par les ONG.

L'Agence du revenu du Canada (ARC) terminera malgré tout les audits actuellement en cours pour 24 organismes.

La ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier, a indiqué mercredi que les résultats des vérifications précédentes lui permettaient de conclure que les organismes «observaient de manière substantielle les règles» quant à leurs activités politiques.

En entrevue, elle a laissé entendre que les ONG ont bien plus besoin de soutien que d'une chasse aux sorcières. «Notre rôle en tant que gouvernement, c'est d'aider ces organisations-là à aider les gens», a-t-elle avancé.

En 2012, les troupes de Stephen Harper avaient accordé un budget spécial de 13,4 millions $ à l'ARC pour des enquêtes visant à s'assurer que les ONG se pliaient à la règle des 10 pour cent. Cette règle veut que les organismes de charité ne puissent consacrer plus de 10 pour cent de leurs ressources à des activités politiques.

L'exercice avait été accueilli avec anxiété par les ONG, qui craignaient de se voir couper les vivres si elles critiquaient le gouvernement conservateur. La première vague de vérifications visait principalement des ONG écologistes, mais aussi des groupes de lutte contre la pauvreté, de défense des droits de la personne et des organismes de charité à caractère religieux.

L'ARC n'a jamais révélé l'identité des groupes faisant l'objet d'un audit sur leurs activités politiques, mais des compilations par la CBC et La Presse avaient notamment identifié Équiterre, La Fondation David Suzuki, Amnistie internationale Canada, Kairos et Canada sans pauvreté.

Pour le directeur général d'Équiterre, Sidney Ribaux, il est évident que seuls les organismes plus progressistes étaient visés par les vérifications.

«Les organismes qui partageaient les point de vue des conservateurs ne faisaient pas l'objet d'audit politique, a-t-il signalé. C'est clair que la motivation de ce programme-là était politique, dans le sens partisan du terme. Alors d'y mettre fin, c'est une très bonne nouvelle.»

Parmi les 30 organismes qui ont subi la vérification, cinq ont vu leur enregistrement révoqué, mais pour des raisons allant «au-delà» de leurs activités politiques, note Ottawa. Sans statut officiel d'organisme de bienfaisance, les ONG ont bien plus de mal à solliciter les donateurs, puisqu'elles ne peuvent émettre des reçus pour fins d'impôt.

Pour Leilani Farha, directrice de Canada sans pauvreté, le principal problème que causaient ces vérifications était qu'elles faisaient taire des voix qui autrement n'étaient pas entendues - dans le cas de son organisme, celles des plus démunis.

«Sans notre organisation, ils n'ont pas de voix politique. Et c'est tellement important dans une démocratie ouverte», a-t-elle insisté.

Tant Équiterre que Canada sans pauvreté ont reçu la visite de vérificateurs pour leurs activités politiques, mais des années plus tard, ils n'ont toujours pas reçu le résultat de cet audit. Ils font donc partie de ces 24 organismes dont les audits sont toujours en cours.

Les ONG visées devaient engager de nombreuses ressources pour se plier aux exigences de la vérification, alors que ces groupes ont souvent du mal à joindre les deux bouts.

En outre, la définition «d'activités politiques» est loin d'être claire. Dans sa lettre de mandat, la ministre s'est d'ailleurs vu confier la tâche par Justin Trudeau de «moderniser les règles qui régissent les secteurs des organismes de bienfaisance», notamment en «clarifiant» les règles entourant l'activité politique.

Mme Lebouthillier entend mener des consultations avec les ONG à travers le pays cette année sur la question.

Mme Farha suggère notamment d'éliminer le plafond de 10 pour cent, tout en conservant une interdiction des activités purement partisanes.

«Le gouvernement doit moderniser la loi pour refléter le fait que pour s'attaquer à la pauvreté, nous avons besoin d'être capables de pousser pour un changement des politiques, lois et programmes», a-t-elle affirmé.

Son point de vue devrait être entendu par la ministre. «Toutes les idées sont bonnes à regarder. Il va y avoir des discussions et je pense que (l'idée), c'est d'arriver à un consensus autour de la table», a affirmé Mme Lebouthillier.

Si les 24 audits déjà entamés se poursuivent, ceux pour six organismes déjà identifiés mais qui ne sont pas commencés seront abandonnés.

Entre 800 à 900 organismes de bienfaisance par année font l'objet d'une vérification régulière de l'ARC.

Mme Lebouthillier insiste sur la nécessité d'établir une barrière entre l'ARC et la politique partisane. «Ce qu'on ne veut pas, c'est que le politique interfère dans tout ce qui touche l'administratif de l'Agence de revenu», a-t-elle affirmé.