Le Canada doit-il devenir le premier pays à doubler sa cible d'inflation pour la faire passer de 2 à 4 % ?

Paul Krugman, Prix Nobel et chroniqueur du New York Times, a profité hier soir du premier face-à-face de sa carrière l'opposant à son tout aussi célèbre collègue économiste Kenneth Rogoff - prof de Harvard et ancien économiste en chef du FMI - pour lancer le débat sur la cible d'inflation des banques centrales devant l'auditoire réuni par CFA Montréal.

« En économie, le Canada a souvent été le premier pays [dans plusieurs domaines]. Il devrait être le premier pays à hausser la cible d'inflation à 4 % [de façon permanente] », dit Paul Krugman, critiquant le modèle actuel, dont la cible d'inflation est de 2 %.

« Les gens pensaient qu'un pourcentage de 2 % ne deviendrait jamais 0 %, que les effets de la cible à 2 % seraient mineurs sur le marché du travail. Le monde est plus déflationniste que nous le pensions. »

Kenneth Rogoff, qui se dit au centre (contrairement à son adversaire idéologique, clairement identifié à la gauche américaine), n'est pas d'accord avec une cible d'inflation fixée en permanence à 4 %. « Il y a de bonnes raisons de hausser la cible de façon temporaire à 4 % et même à 6 % », dit-il. Mais pas de façon permanente. « Ça pourrait fonctionner si vous venez de Mars et que vous recréez le système de toutes pièces, mais la transition est trop problématique. » « Je me rappelle l'inflation à 4 %, au cours du second mandat de Reagan. Je ne crois pas que c'était le chaos », réplique Paul Krugman.

Marijuana et lois électorales

Quel sujet inattendu a-t-il fait surface au cours de ce débat entre deux membres du Groupe des Trente (club sélect d'économistes internationaux) où ils ont notamment discuté en détail de la crise financière ? La légalisation de la marijuana. L'économiste Kenneth Rogoff est d'accord avec cet engagement du nouveau premier ministre Justin Trudeau. « C'est une excellente idée pour la lutte contre le crime », dit-il. De façon plus importante, le professeur de Harvard suggère toutefois une réforme des politiques d'immigration. « Vous avez une population âgée », dit-il.

S'ils sont souvent en désaccord, les deux économistes s'entendent sur la nécessité de réformer les lois électorales américaines pour diminuer l'influence des citoyens les mieux nantis. « Ça corrompt la démocratie », dit Kenneth Rogoff. « Moins de 200 familles représentent plus de la moitié des contributions politiques [pour 2016]. Ce n'est pas sain », renchérit Paul Krugman, qui estime qu'il s'agit d'un « cercle vicieux » dans un système électoral basé sur le principe d'« une personne, un vote ».

Ils ont dit

PAUL KRUGMAN

« Je suis un opposant mou [au Partenariat transpacifique]. Je n'y suis pas favorable, mais je ne crois pas qu'il soit si mauvais. »

« [La loi sur la réglementation des banques] Dodd-Frank n'est pas bête, mais elle est limitée. Ce qui m'inquiète, avec la loi Dodd-Frank, c'est que sa solution s'apparente à la définition de la pornographie : quand on en voit, on sait que c'en est. On fera quoi [avec la réglementation des banques] quand le président Carson nommera Ron Paul comme secrétaire au Trésor ? La loi Dodd-Frank demande d'avoir des gens responsables au gouvernement, et Dieu sait qu'on ne peut pas compter là-dessus... »

« Je ne suis pas sûr que je crois à la croissance à 2 % [par an au Canada]. C'est une économie qui est basée sur les ressources naturelles et qui a l'air d'une bulle immobilière qui n'a pas dégonflé. »

KENNETH ROGOFF

« Tout le monde est d'accord, je le dis depuis sept ans : nous devrons avoir plus de dépenses d'infrastructures. C'est une réponse évidente, c'est une réponse économique classique. »

« Pour les gens qui ont écouté ce que j'ai dit et lu ce que j'ai écrit à l'époque [au début de la crise financière], la conclusion de mes travaux était que des pays comme le Portugal et la Grèce devaient profiter d'allégements de leur dette. Paul, vous semblez comme par hasard avoir oublié ça [dans vos critiques]. »

« [Au fil des ans], [le Japon a] fait beaucoup de stimulus et n'a pas apporté beaucoup de réformes structurelles. [...] Ce n'est pas une société qui tolère bien l'immigration. C'est un grand problème structurel. »