Dans la foulée de la crise financière, on a tenté de parer aux risques systémiques posés par une poignée de banques jugées trop grosses pour faire faillite.

La convergence entre le système financier et les données personnelles amassées par les Google, Facebook et autres Amazon de ce monde crée cependant de nouvelles conditions d'affaires, susceptibles de décupler la finance parallèle, les produits financiers sophistiqués (et opaques) et les occasions de fraude. Au point de faire passer les récents scandales de manipulation des taux d'intérêt interbancaires et de change pour de la petite bière.

«Bonne chance aux régulateurs», a ironisé Henri-Paul Rousseau, vice-président du conseil de Power Corporation, en conclusion d'un atelier au 40e congrès de l'Association des économistes québécois, qui se poursuit aujourd'hui.

Sur le thème L'économie et la finance, y a-t-il une rupture?, plusieurs intervenants ont plutôt fait ressortir que le système financier accélère sa complexité depuis la récession, au point où on est en droit de se poser la question: les banques sont-elles devenues trop complexes pour être gérables?

Alan McIntyre, directeur associé de la firme-conseil en stratégie Oliver Wyman, a comparé les imbrications d'une banque à celles d'une balle de laine faite de plusieurs fils. Un premier représente la réglementation, un autre, les canaux de diffusion, un troisième, la prolifération des produits, d'autres encore, la fragmentation des infrastructures, la gestion des fusions et acquisitions, etc.

Avec pareil méli-mélo, il n'est guère étonnant que les grandes institutions financières, les américaines autant que les canadiennes, réalisent très peu de gains de productivité depuis une trentaine d'années, malgré la pseudo-innovation financière dont elles se targuent.

Faute de se plier à la régulation financière pour des profits alléchants, elles préfèrent entacher leur réputation et payer des amendes de plus en plus salées. Même si elles ont totalisé en cinq ans l'équivalent de la taille de l'économie de la Nouvelle-Zélande, ces amendes ne compromettent ni leur rentabilité, ni la culture d'immunité pénale de leurs dirigeants.

M. McIntyre n'a pas expliqué cependant comment il se fait que le système financier s'arroge toujours plus de profits, malgré sa faible productivité. Là réside pourtant la rupture dont le Congrès cherche à cerner l'existence.

Philippe Grégoire, professeur titulaire à l'Université Laval, a décrit la transformation de l'industrie de l'assurance générale. De nouveaux risques macroéconomiques sont apparus avec la faiblesse des taux d'intérêt et les perspectives d'une croissance lente prolongée, tandis que le recours à l'internet et à d'autres nouvelles technologies transforme la recherche et la fidélisation de la clientèle, l'offre de produits et la notion même du risque.

Stephen Jonathan, spécialiste des applications économiques et de change à l'agence Bloomberg, s'est pour sa part attardé aux risques à venir avec le début de la normalisation de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed).

Une onde de choc reste possible. Les politiques monétaires des banquiers centraux évoluent sans synchronisme et, surtout, la majorité des intervenants sur les marchés n'ont jamais vécu d'épisode de resserrement monétaire.

La dernière fois que le taux directeur des Fed Funds a augmenté, c'est en juillet 2006 quand Ben Bernanke avait décrété une hausse de 25 centièmes, à 5,25%, couronnant du coup une série de 16 hausses d'affilée amorcée quatre ans plus tôt par son prédécesseur Alan Greenspan.

Quelle sera la réaction du marché obligataire cette fois-ci, alors que la dette corporative des économies émergentes a ballonné depuis le début du présent cycle?

Jean-Luc Gravel, premier vice-président, marchés boursiers, à la Caisse de dépôt et placement, a esquivé ce genre de questions en plaidant pour la construction d'un portefeuille fondé sur des valeurs assez solides pour pouvoir piloter dans cette future tempête.

De son côté, Mario Albert, directeur général de Finance Montréal, s'est fait l'apôtre des niches. Montréal est en mesure d'en animer quelques-unes dans les produits dérivés, l'investissement responsable, la gestion des caisses de retraite ou les nouvelles technologies financières.

Si l'industrie financière a beaucoup évolué depuis 30 ans quand il fallait faire encore la file pour mettre à jour son livret de banque, on n'a encore rien vu.

Répétons-le: bonne chance aux régulateurs!