Les femmes pourraient être tentées de quitter le marché du travail avec l'entrée en vigueur du fractionnement du revenu, a signalé mardi le directeur parlementaire du budget (DPB).

Du bout des lèvres, Jean-Denis Fréchette a soufflé que la mesure phare du gouvernement conservateur pourrait avoir cet impact.

«Les femmes sont surtout concentrées dans les personnes qui gagnent un revenu secondaire, et par conséquent, on peut penser que ce sont elles (...) qui vont se retirer», a-t-il exposé.

Le fractionnement du revenu permet au conjoint au salaire plus élevé d'attribuer jusqu'à 50 000$ en revenu imposable à son conjoint assujetti à un taux d'imposition inférieur, pour un bénéfice maximal de 2000$, et ce, à compter de l'année d'imposition 2014.

Le phénomène n'aurait cependant rien d'un exode de masse, a prévenu M. Fréchette en conférence de presse dans la foulée du dépôt de son rapport sur le fractionnement du revenu.

Il a évoqué un effet «relativement marginal», soit une baisse de 7000 emplois à temps plein, ce qui représente moins de 0,04% du nombre total d'heures offertes en main-d'oeuvre.

Il faut dire que le montant maximal de la réduction d'impôt atteint 2000$ annuellement par ménage, ce qui n'est pas une somme particulièrement mirobolante.

Mais une fois ce chèque couplé à celui de la prestation de garde d'enfants, dont la bonification a été annoncée par le premier ministre Stephen Harper à la fin octobre, la tentation de revenir au foyer pourrait-elle être encore plus grande?

Jean-Denis Fréchette n'a pas voulu se prononcer sur la question. «On n'a pas regardé ce phénomène-là pour le moment», a-t-il répondu.

Le porte-parole libéral en matière de finances, Scott Brison, a quant à lui été sans appel: cette mesure est une nouvelle illustration de la réticence du gouvernement Harper à favoriser la présence féminine sur le marché du travail.

«C'est un autre exemple démontrant que les conservateurs favorisent les politiques rétrogrades qui correspondent à leur idéal familial d'une autre époque», a-t-il lancé en entrevue téléphonique avec La Presse canadienne.

«C'est clair que le fractionnement du revenu va augmenter la pression sur la personne qui gagne le salaire moins élevé de quitter le marché du travail», a complété M. Brison.

De son côté, le Conseil du statut de la femme (CSF) s'est dit «satisfait» du rapport - dans la mesure où celui-ci confirme ce qu'il redoutait déjà.

Sa présidente, Julie Miville-Dechêne, convient que le rapport est loin de laisser présager un retour massif des femmes au foyer.

«Mais pour nous, d'un point de vue féministe, comme ce sont les femmes qui gagnent encore moins que les hommes, ce n'est pas un incitatif pour les femmes à rechercher l'indépendance financière», a-t-elle expliqué en entrevue téléphonique.

Profitable à une minorité de ménages

Au-delà de la question de la présence des femmes sur le marché du travail, il y a celle des retombées générales du fractionnement du revenu.

Le DPB conclut que cet allégement fiscal est «régressif» dans la mesure où il ne profite qu'à un faible pourcentage de ménages - deux millions de familles canadiennes, soit 15 pour cent d'entre elles.

Plus l'écart entre les salaires principal et secondaire est important, plus le chèque sera alléchant, comprend-on à la lecture du rapport préparé par le bureau du DPB.

Par exemple, un couple formé de deux personnes gagnant chacun 50 000$ ne touchera absolument rien, tandis qu'un couple composé d'une personne dont le salaire est de 100 000$ et d'une autre qui n'a aucun gagne-pain aura droit à un chèque de 1920$, d'après le DPB.

Les ménages les plus fortunés ont droit à une part considérable du gâteau. Environ le tiers du coût total du programme, soit 750 millions $, sera versé aux ménages dont le revenu total est de 100 000$.

Pour les familles à plus faible revenu, le bénéfice «frôle le zéro», est-il écrit dans le rapport produit par l'équipe de Jean-Denis Fréchette.

Le DPB prévoit par ailleurs que le fractionnement du revenu réduirait les revenus du gouvernement d'environ 2,2 milliards $ en 2015 et qu'il aurait «un effet négligeable sur les revenus des provinces».

La conclusion tirée mardi par le DPB rejoint celle de l'Institut C.D. Howe, qui a évalué à 85% le nombre de foyers canadiens - particulièrement les parents seuls - qui ne bénéficieraient aucunement de cette formule.

Même l'ex-ministre fédéral des Finances, feu Jim Flaherty, avait remis en question sa pertinence et sa portée. Il avait déclaré que personnellement, il préférerait utiliser les surplus budgétaires pour «rembourser la dette publique» et «réduire les impôts».

L'ancien grand argentier d'Ottawa avait rapidement été désavoué par le premier ministre Stephen Harper.

La mesure fiscale, que le gouvernement a rebaptisée «baisse d'impôt pour les familles» lors de son dévoilement, devrait réduire les revenus fiscaux fédéraux d'environ 2,4 milliards $ en 2014-2015 et de 1,9 milliard $ en 2015-2016, selon les données gouvernementales.

Les deux partis d'opposition à Ottawa, le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Parti libéral du Canada (PLC), ont annoncé que s'ils étaient portés au pouvoir, ils annuleraient cette mesure.

Un pari qui pourrait sembler risqué alors même que les Canadiens remplissent leur déclaration d'impôts - car malgré tout, environ une famille sur six profitera de cette baisse d'impôt.