Aux États-Unis, le débat sur les tours de passe-passe des multinationales pour éluder l'impôt fait rage depuis des années. Mais il s'est intensifié ces derniers mois avec la popularité grandissante des «inversions». Explications.

Qu'est-ce qu'une «inversion» ?

Une «inversion» est une transaction par laquelle une multinationale déménage son siège social à l'étranger en acquérant une entreprise établie dans un pays où les impôts sont moins élevés. Dans le cas de la fusion proposée entre Tim Hortons et Burger King, il s'agirait de domicilier au Canada l'entité qui en découlerait, ce qui lui permettrait de bénéficier d'un taux d'imposition plus avantageux que si elle avait son siège social aux États-Unis.

Pourquoi?

Depuis 2000, le taux fédéral d'imposition des sociétés est passé de 28% à 15% au Canada. En incluant l'impôt provincial, le taux combiné est d'environ 27% en Ontario et au Québec, alors qu'il peut osciller entre 35 et 40% aux États-Unis. En 2013, Tim Hortons avait un taux d'imposition effectif de 26,8%, contre 27,5% pour Burger King.

Pourquoi se lancer dans une telle opération pour une différence aussi minime?

En 2013, 41% des revenus de Burger King provenaient de l'extérieur des États-Unis et du Canada. Contrairement au Canada, les États-Unis imposent les profits tirés de l'étranger. En revanche, à l'instar de la plupart des pays, le Canada n'impose généralement pas les profits gagnés dans d'autres pays, considérant qu'ils l'ont déjà été là-bas, indique Éric Labelle, du cabinet comptable Raymond Chabot Grant Thornton. Il s'agit d'un avantage important puisque dans bon nombre de pays, les taux d'imposition sont inférieurs à ceux en vigueur aux États-Unis.

Le Canada pourrait-il devenir une sorte de paradis fiscal pour les multinationales américaines?

Avec un taux d'imposition combiné d'environ 27% pour les entreprises, le Canada est bien positionné par rapport aux autres pays du G20, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Des pays comme l'Irlande et le Royaume-Uni, où les taux d'imposition sont beaucoup plus faibles, sont plus prisés par les multinationales américaines.

Que fait Washington pour mettre fin à cet exode?

Cela fait des années que la Maison-Blanche et le Congrès tentent de colmater les brèches du fisc américain. Les inversions vers les véritables paradis fiscaux comme les îles Caïmans ont été interdites il y a 10 ans, mais pas celles vers l'Irlande, le Royaume-Uni ou le Canada. Les démocrates et les républicains ne s'entendent pas sur la solution à adopter: les premiers voudraient rendre plus difficiles les inversions, alors que les seconds préconisent une réduction du taux d'imposition. Mais le temps commence à presser: depuis le début de l'année, pas moins de neuf déménagements de sièges sociaux américains ont été annoncés, alors qu'il y en avait eu quatre pendant toute l'année 2013, selon Bloomberg.

Quelques cas d'inversion

Valeant-Biovail

En 2010, la société pharmaceutique ontarienne Biovail a fusionné avec la californienne Valeant dans le cadre d'une transaction de plus de 3 milliards. L'entité regroupée a d'abord eu son siège social en Ontario; elle l'a déménagé à Laval en 2012. Valeant bénéficie ainsi des règles fiscales canadiennes, qui permettent à l'entreprise de détenir sa propriété intellectuelle dans des pays à faible taux d'imposition et de rapatrier des profits gagnés à l'étranger sans payer d'importantes sommes en impôts au Canada.

AbbVie-Shire

Le mois dernier, la société pharmaceutique américaine AbbVie (une ancienne filiale d'Abbott) a annoncé l'acquisition de la britannique Shire pour 55 milliards. L'entité regroupée aura son siège social au Royaume-Uni, où le taux d'imposition des entreprises est d'environ 21%, mais conservera un centre important à Chicago, où est établie AbbVie.

Pfizer-AstraZeneca

En avril, la société pharmaceutique américaine Pfizer a proposé d'acquérir la britannique AstraZeneca pour 118 milliards US. L'un des avantages mis de l'avant était l'établissement du siège social au Royaume-Uni. La transaction a toutefois échoué en raison du refus d'AstraZeneca de négocier.

Omnicom-Publicis

L'an dernier, l'agence de publicité française Publicis et sa rivale américaine Omnicom se sont entendues pour fusionner dans une transaction de 35 milliards US. L'entité regroupée aurait été incorporée aux Pays-Bas et domiciliée au Royaume-Uni pour des raisons fiscales. Pour diverses raisons, y compris la complexité de l'arrangement fiscal prévu, la transaction a échoué en mai.