Cette année, pour la première fois depuis la récession de 2008-2009, le déficit fiscal d'Ottawa sera moins élevé que celui des provinces. Beaucoup moins, en fait: 2,9 milliards, en regard de plus de 12 pour le solde des 10 provinces.

Ce solde masque une réalité plus sombre encore: les trois provinces les plus à l'ouest sont déjà en situation de surplus alors que le gouvernement fédéral met les bouchées doubles pour les rejoindre, dès l'exercice en cours.

À l'opposé, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et l'Ontario ne renoueront pas avec l'équilibre budgétaire avant 2017-2018. Dans ce dernier cas, les observateurs émettent même des doutes sérieux sur la faisabilité de la chose, tout comme ils expriment des réserves sur le scénario du gouvernement de Philippe Couillard, qui anticipe un budget 2015-2016 sans déficit.

L'économie canadienne a profondément changé depuis le tournant du siècle. Le secteur manufacturier, concentré en Ontario et au Québec, a été affaibli par la poussée du huard à compter de 2003 et surtout par l'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce, en 2001. La récession a provoqué l'affaissement des exportations de biens usinés.

Parallèlement, Terre-Neuve-et-Labrador est devenue une importante productrice de pétrole, la Colombie-Britannique et la Saskatchewan ont amorcé l'exploitation de leurs réserves de gaz naturel, et l'Alberta, celle de ses colossales réserves de sables bitumineux.

Au net, le Canada parvient à rétablir sa balance commerciale, de peine et de misère aujourd'hui, grâce à des exportations record d'énergie qui compensent l'effondrement des livraisons manufacturières.

Depuis la récession de 2008-2009, l'expansion de l'économie canadienne a atteint 7% à la fin de 2013. Cela camoufle d'importantes disparités régionales. L'expansion de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba dépasse les 10% alors que celle du Québec et de l'Ontario atteint tout juste 5%. Le Nouveau-Brunswick reste le parent pauvre avec une expansion quasi nulle.

Nouvelles disparités

Ces nouvelles disparités régionales forcent une nouvelle appréciation des deux types de transferts fédéraux aux provinces.

Les transferts en santé et services sociaux sont faits au prorata des populations. L'Ontario et le Québec en touchent forcément plus que l'Île-du-Prince-Édouard.

Les paiements de péréquation redistribuent, quant à eux, une partie des revenus fédéraux pour assurer à chaque province la capacité fiscale d'offrir des services comparables à des coûts d'imposition comparables.

La formule de péréquation est complexe et a été modifiée au fil des ans. Depuis 2007, la capacité fiscale d'une province est calculée en tenant compte de cinq assiettes: l'impôt sur le revenu des particuliers et des sociétés, la taxe de vente, l'impôt foncier et la moitié de la production de ressources naturelles.

Avant 2007, les ressources n'étaient pas prises en compte. Le changement de 2007 a fait en sorte d'exclure Terre-Neuve-et-Labrador et la Saskatchewan des bénéficiaires de la péréquation mais d'y inclure l'Ontario.

«L'Ontario dépense moins par habitant que toute autre province, impose un fardeau fiscal comparable à la moyenne canadienne et possède pourtant le déficit budgétaire par habitant le plus élevé», observent Thomas Granofsky et Noah Zon, dans The Finances of the Canadian Federation, une étude publiée le mois dernier par le Mowat Centre de l'Université de Toronto.

Ils font ressortir que seule l'Île-du-Prince-Édouard a une plus faible capacité fiscale que l'Ontario en matière de ressources naturelles.

Depuis 2008, Ottawa limite l'augmentation de la péréquation à la croissance du PIB nominal canadien. Quand les besoins d'un bénéficiaire augmentent, cela se fait au détriment des autres. Le risque budgétaire est partagé par les seuls bénéficiaires.

La fermeture de la centrale Gentilly-2 a ainsi eu pour effet de réduire de quelques centaines de millions les paiements faits à l'Ontario.

«Ottawa a choisi de plafonner l'enveloppe de la péréquation pour que l'Ouest ne donne pas trop. L'Ontario s'aperçoit qu'il a un problème structurel», note Jean-Pierre Aubry, fellow associé au CIRANO.

En principe, la formule de péréquation ne sera pas modifiée avant quatre ans, alors qu'il faudrait envisager d'augmenter la part des ressources naturelles dans ses calculs, quitte à créer d'autres tensions.

Les paiements de transfert en santé créent aussi des inégalités. Ottawa a choisi de les maintenir sur une base par habitant sans tenir compte de l'âge des citoyens. Cela pénalise les provinces maritimes et le Québec. Plus une population vieillit, plus les besoins de soins augmentent.

M. Aubry, avec les économistes Pierre Fortin et Luc Godbout, avait fait il y a deux ans une suggestion pour remédier à cette situation: un paiement par habitant de moins de 65 ans et un autre, beaucoup plus élevé, pour les 65 ans et plus, sans augmenter l'enveloppe globale.

Cette suggestion n'a pas été retenue, pour le plus grand bonheur de l'Alberta et de la Saskatchewan, les seules à connaître des soldes migratoires interprovinciaux positifs.

Des disparités importantes

Canada

Le gouvernement fédéral est parvenu à coups de contrôle des dépenses et de plafonnements des transferts aux provinces à redresser ses finances. Des surplus lui permettraient d'augmenter le revenu disponible aux comptes d'épargne libre d'impôt, un engagement de la dernière campagne électorale de Stephen Harper.

Colombie-Britannique

Pour la deuxième année d'affilée, la province du Pacifique compte dégager un léger surplus. Pour ce faire, elle limite à 1,7% la croissance de ses dépenses de programmes, ce qui est tout de même une hausse deux fois plus élevée qu'en 2013-2014. Elle se donne aussi un coussin de 200 millions.

Prairies

L'Alberta prévoit un deuxième surplus d'affilée et la Saskatchewan, un troisième. Le Manitoba mise encore sur un léger déficit tout en comprimant ses dépenses de programmes à 2,1%, ce qui lui évite d'alourdir le fardeau fiscal. Des trois, le Manitoba porte la dette la plus lourde, la cinquième en importance parmi les provinces, tandis que l'Alberta est en excédent net.

Ontario

Le budget présenté la semaine dernière ne sera pas adopté. Il prévoit un déficit de 12,5 milliards, soit 1,2 milliard de plus que celui de 2013-2014, malgré des hausses d'impôt ainsi que des taxes sur l'essence et le tabac. L'Ontario prévoit un retour à l'équilibre en 2017-2018 en misant sur une croissance des dépenses de programmes de 2,6% en cette année électorale, de 0,6%, 0,1% et, tenez-vous bien! de -0,7% en 2017-2018. Bonne chance!

Québec

En attendant le budget de Carlos Leitao, qui se voudra prudent avant tout, celui de son prédécesseur Nicolas Marceau misait sur un retour à l'équilibre en 2015-2016, malgré un écart à résorber de plus d'un demi-milliard entre les revenus et les dépenses. Avec un gouvernement majoritaire, M. Leitao peut faire amender la Loi sur l'équilibre budgétaire, mais il devra convaincre les agences de notation de crédit, ce qui n'ira pas de soi.

Maritimes

L'économie du Nouveau-Brunswick, en pleine léthargie, oblige Fredericton à repousser à 2017-2018 le retour à l'équilibre, malgré une année électorale. La Nouvelle-Écosse ne renouera avec l'équilibre que si elle parvient à limiter à 2% ses dépenses de programmes d'ici là. Quant à l'Île-du-Prince-Édouard, elle prévoit un dernier gros déficit de... 40 millions cette année, soit 12 de moins qu'en 2013-2014.

Terre-Neuve-et-Labrador

Les finances publiques et l'économie de la benjamine de la Confédération sont lourdement tributaires de son industrie pétrolière. La fermeture d'une de ses installations en 2012 avait plongé la province en récession et ses finances publiques dans le rouge. Le déficit s'aggrave cette année à la faveur de plusieurs mesures pour stimuler la croissance. Un léger surplus est prévu dès l'an prochain.