De l'avis d'experts, le Québec ne devrait pas faire bande à part des autres provinces et du fédéral en introduisant dans sa seule loi provinciale sur les entreprises de nouveaux moyens de défense contre les offres d'achat hostiles.

Parce qu'en légiférant ainsi de façon particulière, en suivi rapide du rapport du Groupe de travail sur la protection des entreprises québécoises publié jeudi avec le budget provincial, le Québec risque de provoquer des conflits réglementaires pour les entreprises assujetties à la loi québécoise qui sont inscrites à la Bourse de Toronto, où les lois ontariennes et fédérale ont préséance.

«Malgré les intentions du gouvernement Marois d'aider les entreprises québécoises à mieux se défendre d'OPA hostiles, l'adoption de règles spécifiques comme celles suggérées par le Groupe de travail risque en fait d'ouvrir une énorme boîte de Pandore pour ces entreprises inscrites à la Bourse de Toronto», explique Yvan Allaire, un analyste de renom à ce sujet à titre de président de l'Institut sur la gouvernance des organisations privées et publiques (IGOPP).

De plus, appréhende M. Allaire, un tel imbroglio réglementaire parmi les entreprises pourrait ensuite être utilisé par le gouvernement fédéral comme un nouvel argument en faveur de son projet d'organisme national des valeurs mobilières, auquel s'opposent le Québec et quelques provinces.

«Le fédéral aurait alors beau jeu pour dire: «Vous voyez, ça ne marche plus entre les autorités provinciales. C'est une autre preuve que ça prend une autorité nationale!»», selon M. Allaire.

Dans son rapport, le Groupe de travail qui avait été créé par le ministre Nicolas Marceau en juin 2013, un an après la vive bagarre de Rona contre le géant américain Lowe's, recommande notamment de permettre aux entreprises de moduler le droit de vote de leurs actions en fonction de leur durée de détention.

Une telle mesure, croit-on, pourrait avoir un effet dissuasif sur les OPA hostiles comparable à celui des «pilules empoisonnées» que les entreprises peuvent ajouter à leur capital-actions comme mesure préventive à long terme contre les tentatives de prise de contrôle.

Par ailleurs, le Groupe de travail québécois propose l'ajout à la loi québécoise de restrictions sévères sur les transactions d'actions et d'actifs des entreprises ciblées par une OPA hostile, de façon à en réduire l'attrait pour l'offrant.

Selon Yvan Allaire, toutefois, ces mesures vont «un peu trop loin» par rapport à «ce qui serait nécessaire» pour les entreprises québécoises.

Aussi, il estime que le gouvernement québécois devrait s'en tenir pour le moment aux changements réglementaires qui se discutent déjà entre les principales autorités au Canada, à l'initiative d'ailleurs d'une proposition de l'Autorité des marchés financiers (AMF) du Québec.

«Si elle est adoptée par tous, cette proposition de l'AMF permettrait essentiellement de rehausser la réglementation canadienne de défense des entreprises face aux OPA hostiles sur celle de l'État du Delaware, qui est de loin la plus utilisée parmi les entreprises américaines en Bourse», a expliqué M. Allaire.

Selon lui, une telle démarche aurait aussi le mérite pour les entreprises québécoises et canadiennes en Bourse d'harmoniser leurs outils de défense face aux OPA hostiles avec ceux de leurs vis-à-vis américains.

Et, de ce fait, de mieux égaliser les chances, de part et d'autre, de préparer et réaliser des projets de prise de contrôle d'entreprise.