Québec inc. a fait front commun hier pour témoigner son appui à l'accord de libre-échange Canada-Union européenne. Un traité que la Roumanie menace aujourd'hui de bloquer. Explications.

Ottawa ne s'inquiète pas des menaces de la Roumanie de faire dérailler l'accord de libre-échange Canada-Union européenne (UE), des représailles qui seraient, de toute façon, difficiles à mettre en application, selon des experts.

Le chef de la diplomatie roumaine a menacé hier de bloquer l'entente si Ottawa ne levait pas l'obligation de visa pour ses ressortissants. De passage à Montréal, le ministre canadien du Commerce international, Ed Fast, a fait valoir qu'une solution était à portée de main.

«On accorde une grande, grande importance à nos relations avec des pays comme la Roumanie et la Bulgarie, et nous sommes confiants de pouvoir régler la situation à court ou à moyen terme», a déclaré M. Fast devant un parterre de gens d'affaires montréalais réunis pour appuyer l'accord Canada-UE.

Ottawa a imposé des visas aux ressortissants de 3 des 28 pays de l'Union européenne «en raison d'un afflux soudain de réfugiés, dont plusieurs étaient illégitimes», a rappelé le ministre. Il s'agit de la République tchèque, de la Roumanie et de la Bulgarie.

Le Canada a déjà levé cette obligation pour la République tchèque vendredi dernier, le même jour où l'accord de libre-échange a été annoncé. Des discussions sérieuses sont en cours avec les deux pays restants, selon le ministre.

Des menaces vaines?

Qu'importe si Ottawa parvient à s'entendre avec Bucarest, les experts doutent qu'une question comme celle des visas puisse faire dérailler l'accord de libre-échange.

«La chose est déjà pré-avalisée par les grands», a résumé Me Simon Potter, associé au sein du groupe de litige du cabinet McCarthy Tétrault et spécialiste des litiges commerciaux internationaux.

Me Potter n'est absolument pas surpris de voir un pays comme la Roumanie utiliser l'accord comme levier de négociations. Il s'attend à d'autres tractations du genre au cours des 18 à 24 prochains mois, d'ici à ce que l'Europe donne son approbation finale à l'accord.

«C'était à prévoir que les petits pays, par exemple le Danemark, auraient quelques petites demandes additionnelles, a indiqué l'avocat. Et on verra la même chose au Canada, on verra que l'Alberta a des choses à demander, que le Québec a des choses à demander. C'est sûr qu'en voyant les détails de l'entente, il y aura du jonglage, mais le grand principe de la chose est déjà approuvé.»

Yan Cimon, professeur agrégé à la Faculté des sciences de l'administration de l'Université Laval, croit lui aussi que d'autres pays risquent de mettre de l'avant de nouvelles demandes. Il ne s'attend toutefois pas à un effet d'entraînement.

«C'est une possibilité, mais ce serait très mal vu à ce stade-ci, a-t-il avancé. Si ça avait eu à avoir lieu, ça se serait produit au stade préliminaire des négociations sur les questions commerciales qui achoppent, comme l'agriculture ou la propriété intellectuelle dans le secteur pharmaceutique.»

Une question distincte

En entrevue avec La Presse Affaires, hier, le ministre Fast a insisté que la question des visas roumains était «distincte» de la négociation du traité de libre-échange. C'est le ministre de l'Immigration, Chris Alexander, qui chapeaute ce dossier «et il est entièrement dédié à régler ces problèmes».

Ottawa estime que le nouveau traité permettra d'accroître de 20% les échanges commerciaux entre le Canada et l'Europe, et d'ajouter 12 milliards de dollars à l'économie canadienne.

Québec inc. fait front commun

C'était une rare démonstration d'unité du Québec inc. Hier, des représentants de presque tous les grands secteurs industriels de la province sont venus proclamer leur fervent appui au traité de libre-échange Canada-Union européenne.

«Aujourd'hui, c'est un grand moment, parce que le continent européen nous échappe depuis longtemps», a fait valoir Jean Simard, PDG de l'Association de l'aluminium du Canada.

«Cet accord pour nous est historique et va plus loin que tous les accords précédents», a pour sa part commenté Norma Kozhaya, directrice de la recherche au Conseil du patronat du Québec.

Producteurs de porcs, de légumes congelés, porte-parole des PME et des scientifiques: une dizaine d'intervenants se sont relayés au micro pour applaudir l'accord, aux côtés du ministre du Commerce international, Ed Fast, et du ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney.

L'événement a eu lieu au Port de Montréal, qui profitera d'un regain d'activité si les exportations québécoises explosent comme prévu.

Aucun représentant de l'industrie fromagère n'a pris la parole.

François-William Simard, de la Fédération des chambres de commerce du Québec, a cependant tenu à saleur la décision du gouvernement Harper de soutenir financièrement les producteurs qui seront pénalisés par l'afflux de fromages européens au Canada. (La teneur de cet appui reste encore à préciser.)

«Aujourd'hui, on a assisté à un endossement incontestable des forces vives du Québec inc. envers un accord historique», a fait valoir à La Presse Affaires le ministre Blaney, visiblement d'excellente humeur.

«Et le Québec sera au centre de ça», a-t-il conclu.

Entrevue avec Ed Fast, ministre du Commerce international

Vous n'avez rien annoncé de neuf ce matin. Quel était le but de cet exercice, avec tous ces gens d'affaires montréalais?

Vendredi dernier, le premier ministre Harper et le président Barroso, de l'Union européenne, ont signé l'accord de libre-échange. Puis, lundi, nous avons annoncé à Ottawa que des ministres, membres du Parlement et autres parties prenantes iront partout au Canada pour expliquer aux Canadiens pourquoi cet accord est important et quels seront ses bénéfices immenses pour les travailleurs, les consommateurs, les importateurs et les exportateurs. On veut s'assurer que les Canadiens comprennent pleinement ce que cet accord représente pour eux.

Le rôle de Jean Charest a été mentionné à plusieurs reprises dans la mise en oeuvre de cet accord. Quel rôle a-t-il donc joué?

Jean Charest a initialement suggéré qu'un accord de libre-échange entre le Canada et l'UE profiterait grandement aux deux parties. Il a été un grand supporteur de ces négociations pendant toute leur durée. En 2008, M. Harper a pris le taureau par les cornes. Il a dit: «nous avons fait les analyses, les études qui montrent que cet accord pourrait bénéficier significativement à notre économie», et c'est le premier ministre qui a pris la décision d'aller de l'avant et d'annoncer que le Canada irait de l'avant avec ces négociations.

Plusieurs s'attendaient à l'annonce d'un accord pendant le dernier sommet du G8 (NDLR: en juin dernier). Que s'est-il passé?

Nous n'avions aucunement l'intention d'annoncer quoi que ce soit pendant le sommet du G8. C'était de la spéculation des médias. Ce que je peux vous dire, c'est qu'au sommet du G8, le premier ministre a été clair en disant qu'il restait de grands écarts à combler et c'est à ce moment que le président Barroso et lui se sont impliqués personnellement pour conclure cette entente. Ensuite, les choses ont progressé très rapidement.

Vous avez parlé un peu plus tôt de la Roumanie. Y a-t-il un risque d'effet d'entraînement qui amènerait d'autres pays européens à utiliser des questions comme celle des visas comme levier pour dire qu'ils ne signeront pas l'accord?

Absolument pas. Nous sommes en discussion avec la Bulgarie et la Roumanie depuis un bon bout de temps. J'ai parlé à notre ministre de l'Immigration: il est entièrement dédié à régler ces problèmes, et je suis confiant que nous trouverons une solution. Mais je veux insister sur le fait que dans ces négociations entre le Canada et l'UE, les enjeux comme les visas sont distincts et on les traitera séparément.