Un voyant jaune apparaît sur le tableau de bord du gouvernement fédéral: l'augmentation de la dette depuis la crise de 2008 coûtera plus cher à financer lorsque les taux d'intérêt repartiront à la hausse, privant ainsi Ottawa d'une somme d'argent importante qui pourrait être utilisée à d'autres fins.

Profitant des taux d'intérêt extrêmement bas, le gouvernement Harper a engrangé des déficits substantiels dans la foulée de la crise économique mondiale, il y a cinq ans, afin de soutenir l'économie canadienne.

Depuis lors, le ministre des Finances, Jim Flaherty, a ajouté 151 milliards de dollars à la dette, qui est passée de 457 milliards en 2007-2008 à 608 milliards aujourd'hui. M. Flaherty prévoit encore deux autres années de déficit totalisant 25 milliards (18,7 milliards en 2013-2014 et 6,6 milliards durant l'exercice financier suivant) avant de rétablir l'équilibre budgétaire en 2015-2016.

Dans une note interne du ministère des Finances, on souligne à gros traits l'importance de respecter le calendrier établi pour venir à bout de ce boulet financier en évoquant, pour la première fois, les conséquences d'une hausse des taux d'intérêt sur les finances publiques.

«À partir de maintenant, la priorité absolue doit être de retourner à des budgets équilibrés afin de maintenir et consolider l'avantage fiscal dont jouit le Canada», peut-on lire dans cette note d'information obtenue par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

«L'avantage le plus important d'un retour à des budgets équilibrés est d'éviter qu'une part croissante des revenus du gouvernement soit absorbée par les frais d'intérêt. Cela est crucial pour préserver les progrès réalisés grâce au plan d'action économique à long terme du gouvernement depuis 1996 et pour réaliser d'autres gains plus tard. En d'autres termes, cela va assurer la pérennité des programmes du gouvernement et permettre de maintenir un fardeau d'imposition le plus bas possible», ajoute-t-on.

En 1995-1996, au plus fort des difficultés budgétaires du gouvernement fédéral, Ottawa a consacré 49,4 milliards en frais d'intérêt sur sa dette, soit plus du tiers de ses revenus de 140 milliards. Mais le coup de barre donné par le gouvernement libéral de Jean Chrétien, combiné à une baisse graduelle des taux d'intérêt, a permis de redresser les finances publiques de manière spectaculaire. En 2005-2006, dernière année au pouvoir des libéraux, les frais d'intérêt s'élevaient à 33,7 milliards, soit environ 15% des revenus totaux d'Ottawa (222 milliards). La dette, elle, était passée de 562 milliards à 481 milliards grâce à des années de surplus.

Aujourd'hui, les frais de la dette demeurent stables à environ 31 milliards, mais ce poste de dépenses va bondir dès que les taux d'intérêt seront majorés, ce qui pourrait être le cas en 2014, selon certains experts.

Le party achève

«Le party des taux d'intérêt bas tire à sa fin, et tous ceux qui ont des dettes, y compris les gouvernements, vont passer à la caisse», estime Ian Lee, professeur d'économie à la Sprott School of Business de l'Université Carleton, à Ottawa.

M. Lee, un ancien banquier à la Banque de Montréal, ne croit pas à une répétition du scénario désastreux des années 90, mais il calcule qu'une hausse de 1 point de pourcentage des taux d'intérêt entraînera immédiatement une augmentation de 2 milliards des frais d'intérêt sur la dette par année; le tiers de la dette est financé à court terme - 3 ans ou moins -, soit environ 200 milliards. Une hausse de 2 points se traduirait par un fardeau de 4 milliards de plus.

Alors que le gouvernement Harper peine à éliminer le déficit, cette somme pourrait être primordiale, affirme M. Lee, qui croit que les provinces comme l'Ontario et le Québec sont encore plus à risque.

«L'argent de plus qui sera dépensé pour les frais d'intérêt ne sera pas dépensé sur autre chose. Les gouvernements devront donc faire des choix. Point à la ligne», a-t-il dit.

L'économiste en chef et stratège de la Banque Nationale du Canada, Stéfane Marion, estime qu'une hausse des taux d'intérêt est inévitable à court terme et il croit qu'Ottawa fait preuve de sagesse en étant «préventif».

M. Marion a ajouté que la dette du Canada en proportion de son produit intérieur brut est peu élevée comparativement à d'autres pays, mais Ottawa doit maintenir le cap s'il veut continuer à attirer des capitaux et des talents.