Le Procureur général du Québec renonce à porter en appel un jugement de la Cour supérieure qui ouvre la voie à la syndicalisation de milliers de travailleurs étrangers utilisés dans les exploitations agricoles de la province.

Un porte-parole du ministère de la Justice, Paul-Jean Charest, a confirmé jeudi à La Presse que la décision du tribunal, rendue en mars dernier, ne serait pas contestée.

La Fondation des entreprises en recrutement de main-d'oeuvre agricole étrangère (FERME) a aussi souligné qu'elle n'entendait pas s'opposer au verdict. «On est prêts à vivre avec ce que décidera le législateur», a commenté le directeur général de l'organisation, Denis Hamel.

Le gouvernement dispose d'un an pour préciser ses intentions avant qu'une disposition du Code du travail jugée inconstitutionnelle en raison de son impact sur la capacité de syndicalisation des travailleurs agricoles saisonniers ne devienne effective.

«Nous avons gagné une bataille importante, mais pas la guerre», souligne le porte-parole du syndicat des Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce (TUAC-FTQ), Mario Delisle.

Pas encore le champ libre

«Ça nous est favorable mais ça ne veut pas dire qu'on a le champ libre partout dès demain», prévient-il.

La Cour supérieure a validé en mars les conclusions d'une décision rendue en 2010 par la Commission des relations du travail (CRT) à la suite d'une demande d'accréditation présentée par le syndicat au nom des ouvriers migrants d'une ferme agricole de Mirabel.

L'organisation a alors invalidé un article du Code du travail qui précise que les personnes embauchées pour l'exploitation d'une ferme ne sont pas réputées être des salariés, «à moins qu'elles n'y soient ordinairement et continuellement employées au nombre minimal de trois».

Les exploitations agricoles employant presque exclusivement des travailleurs saisonniers se trouvaient de facto à l'abri de tentatives de syndicalisation puisque nombre d'entre elles ne fonctionnent qu'une partie de l'année. «C'est difficile de cultiver quand il neige», relève M. Delisle.

La CRT a conclu que l'article en question empêchait les travailleurs saisonniers «de jouir de la liberté d'association garantie» par les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés et «les empêchait d'accéder à un véritable régime de négociation collective».

Au dire de la CRT, la disposition contestée du Code du travail touchait surtout les travailleurs agricoles migrants, un groupe particulièrement «vulnérable» en raison de problèmes de langue, des différences culturelles, du bas niveau d'éducation et d'une mauvaise connaissance des droits existants.

Le Procureur général a notamment plaidé que les limitations prévues dans le Code du travail étaient requises pour protéger la viabilité des fermes familiales et assurer une occupation soutenue du territoire. La CRT a rejeté l'idée que la restriction du droit d'association compromettait la viabilité de ces établissements, analyse validée par la Cour supérieure.

Selon Mario Delisle, moins de 10% des exploitations agricoles faisant appel à des travailleurs saisonniers étrangers comptent actuellement au moins trois employés permanents au sens du Code du travail.

La décision de la Cour supérieure peut donc avoir un impact à grande échelle, souligne le militant, qui s'attend à ce que les exploitants agricoles développent de nouvelles stratégies pour freiner la syndicalisation.