Ce n'est pas demain la veille, mais les Canadiens pourraient obtenir une baisse d'impôt fédéral considérable. Durant la dernière campagne électorale, les conservateurs ont fait miroiter aux familles la possibilité de fractionner leurs revenus et d'économiser 2,5 milliards de dollars par année.

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«C'est un changement assez fondamental dans la fiscalité», dit Luc Godbout, professeur de fiscalité à l'Université de Sherbrooke.

Cette mesure n'entrera pas en vigueur avant qu'Ottawa retrouve l'équilibre budgétaire, soit en 2015-2016, ce qui pourrait aussi être une année électorale. Mais déjà on sait que la baisse d'impôt sera moins payante pour le Québec que pour d'autres provinces comme l'Alberta.

Moins de familles «traditionnelles»

C'est la conclusion à laquelle arrive M. Godbout dans une étude publiée dans la Revue de planification fiscale et financière. Cela dépend notamment du fait que le Québec compte moins de familles «traditionnelles» où l'un des conjoints gagne un salaire élevé tandis que l'autre reste à la maison.

En effet, ce sont les familles qui ont un écart de salaire important qui ont le plus à gagner du fractionnement. En gros, les conservateurs donneraient la possibilité aux couples qui ont des enfants mineurs de fractionner leurs revenus. Cela permettrait au parent qui a le salaire le plus élevé de transférer jusqu'à 50 000$ au conjoint qui a des revenus inférieurs... et dont le taux d'imposition est moins élevé.

Rappelons qu'au fédéral, le taux d'imposition est de 15% en dessous d'environ 38 000$. Il s'élève progressivement à 22%, 26% et 29% lorsque sur les revenus dépassent environ 123 000$ (en 2008 qui a servi d'année repère pour les calculs).

Ainsi, un Québécois qui gagne 200 000$ obtiendrait une économie d'impôt maximale de 5137$ en transférant 50 000$ à son conjoint qui ne travaille pas (en tenant compte de l'abattement fiscal pour le Québec).

À l'opposé, les couples qui ont peu d'écart de salaire n'ont pas grand-chose à gagner du fractionnement de revenus. Pas plus que les familles qui ont de faibles revenus et qui sont déjà imposées au minimum.

Québec versus Alberta

À l'échelle canadienne, la promesse conservatrice vise 2,8 millions de familles biparentales, soit 20% de toutes les unités familiales. Mais au Québec, la proportion est plus faible (18%), notamment parce qu'il y a davantage de familles monoparentales.

Autres distinctions majeures: au Québec, le taux de participation des femmes qui ont des enfants au marché du travail (81,6%) est plus élevé qu'au Canada (78,6%). Et l'écart de revenus entre les hommes et les femmes est moins grand au Québec que dans certaines provinces comme l'Alberta, où l'homme touche deux fois le revenu de la femme, en moyenne.

Cela fait en sorte que seulement 59% familles québécoises admissibles profiteront réellement du fractionnement de revenu, par rapport à 77% des familles albertaines.

En outre, le fractionnement procurera une économie d'impôt de seulement 896$ aux familles québécoises, alors que les familles albertaines auront droit à une économie moyenne de 1714$. Mais il faut dire que les Québécois ont un revenu familial largement inférieur (73 600$) à celui des Albertains (106 000$). En conséquence, les familles québécoises paient beaucoup moins d'impôts au fédéral.

La part du gâteau du Québec

Malgré tout, le Québec n'aura pas sa part du gâteau: sa proportion de la réduction d'impôt associée au fractionnement du revenu sera significativement plus faible que sa proportion de l'impôt fédéral payé, indique l'étude.

Plus précisément, le fractionnement apportera 400 millions au Québec, soit 16% du cadeau fiscal de 2,5 milliards, alors que le Québec paie 19% des impôts fédéraux.

«Le fractionnement va coûter extrêmement cher et ne réglera pas les problèmes les plus importants en fiscalité», estime M. Godbout. C'est sans compter que les provinces auront beaucoup de pression pour emboîter le pas, comme elles l'ont fait d'ailleurs en 2007 quand Ottawa a permis le fractionnement des revenus des retraités.

Le Québec devra alors se demander si le fractionnement s'inscrit en porte à faux avec son objectif de favoriser la participation des deux parents au marché du travail, conclut l'étude.