Le plus important assureur de prêts hypothécaires au Canada, la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), société d'État fédérale, devrait-il être privatisé?

L'idée exprimée par le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, au cours d'une entrevue à un quotidien torontois en a étonné plus d'un dans l'immobilier résidentiel.

D'autant plus que ce marché se resserre après des années fortes qui ont enrichi les promoteurs immobiliers, les courtiers immobiliers et les prêteurs. Le boom immobilier a aussi gonflé l'endettement des Canadiens à des niveaux records, au point d'inquiéter les superviseurs financiers au pays et à l'étranger.

Dans ce contexte, suggérer la privatisation d'une société d'État dont le portefeuille d'assurances de prêts hypothécaires atteint les 575 milliards de dollars, 66% de plus depuis cinq ans, est un sujet sensible.

Au cabinet du ministre Flaherty, on s'est empressé hier de «corriger» l'impression laissée par le compte rendu de l'entrevue. «À ce moment-ci, nous ne prévoyons pas de tels changements [privatisation] à la SCHL», a dit le ministre d'État aux Finances, Ted Menzies, à l'agence Reuters.

Du côté de l'Association des banquiers canadiens (ABC), lobby financier le plus puissant du pays, on a indiqué à La Presse Affaires qu'il est «prématuré» de discuter d'une privatisation de la SCHL «parce que le gouvernement fédéral n'a pas encore annoncé de projet en ce sens».

Du moins, pas de sitôt après le resserrement des normes hypothécaires dicté par Ottawa (prêts écourtés de 30 à 25 ans maximum, plafond d'emprunt abaissé de 85 à 80% de la valeur de la propriété).

Les premiers acheteurs

Dans le marché de l'immobilier résidentiel, on attend encore de confirmer l'impact de ce resserrement.

«Pour le moment, il semble toucher surtout le marché des propriétés de prix inférieur et des premiers acheteurs. C'est aussi le marché qui recourt le plus aux assurances hypothécaires, parce qu'une grande majorité des acheteurs n'a pas la mise de fonds minimale de 20%», selon François Bernier, économiste à l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec (APCHQ).

Chez la firme Multi-Prêt, l'un des plus importants courtiers hypothécaires du Québec, le directeur régional Denis Doucet admet avoir été étonné par la suggestion du ministre Flaherty.

«On ne l'a pas vue venir, celle-là. Mais si ce débat doit survenir, le plus important sera de voir si une privatisation de la SCHL améliorerait ou non le marché des assurances hypothécaires, selon M. Doucet. Est-ce qu'il y aurait plus de produits? Est-ce que les tarifs demeureraient concurrentiels comme ils le sont actuellement entre la SCHL et des assureurs privés comme Canadian Guarantee et GenWealth?»

Entre-temps, à Ottawa, l'opposition néo-démocrate a vite signalé son refus net à toute privatisation de la SCHL.

«Ce que le ministre souhaite faire, c'est abandonner le meilleur outil que les Canadiens ont à leur disposition pour assurer la confiance et la stabilité du marché immobilier au pays», a indiqué la députée d'Hochelaga et porte-parole néo-démocrate en matière de logement, Marjolaine Boutin-Sweet.

Selon elle, le gouvernement devrait tirer des leçons de ce qui est arrivé aux sociétés américaines Fannie Mae et Freddie Mac. «Si la SCHL, une fois privatisée, se plante, c'est le gouvernement qui devra payer les pots cassés. Nous n'avons pas les moyens de nous payer une telle catastrophe», a dit la députée.

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LA SCHL EN CHIFFRES

- Activité: société d'État fédérale d'aide financière à l'habitation

- Siège social: Ottawa

- Effectif (au 31 déc. 2011): 2000 employés

- Année de fondation: 1946

- Revenus autonomes (2011): 11,7 milliards (+3,5%)

- Revenus autonomes (6 mois en 2012): 5,6 milliards (-4%)

- Subvention fédérale (2011): 2,16 milliards (-31%)

- Surplus net (2011): 1,5 milliard (+5,5%)

- Surplus net (6 mois en 2012): 782 millions (+2,6%)

- Actif (au 30 juin 2012): 292 milliards Source: SCHL

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SCHL: 10 ans d'assurances hypothécaires

Année / assurances en vigueur (en $)

2002 / 224 milliards

2003 / 230 milliards

2004 / 243 milliards

2005 / 273 milliards

2006 / 291 milliards

2007 / 345 milliards

2008 / 407 milliards

2009 / 472 milliards

2010 / 514 milliards

2011 / 567 milliards

2012 (1) / 576 milliards

1: Au 30 juin 2012

Source: SCHL

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LES INTERVENTIONS D'OTTAWA

Quand Ottawa est intervenu pour stabiliser le marché immobilier canadien et éviter la formation d'une bulle immobilière, il l'a fait surtout par l'entremise de la Société canadienne d'hypothèques et de logement. Le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, soutient maintenant que les interventions d'Ottawa tirent à sa fin et qu'il songe à privatiser la SCHL d'ici 5 à 10 ans. Voici les principales mesures prises par Ottawa depuis 2008 pour stabiliser le marché immobilier.

Octobre 2008

> L'amortissement maximum d'un prêt hypothécaire assuré passe de 40 ans à 35 ans. L'acompte minimum est fixé à 5%.

Février 2010



> Les emprunteurs sont financés en fonction du taux fixe affiché de cinq ans plutôt que celui de trois ans. Le plafond pour un refinancement hypothécaire passe de 95% à 90% de la valeur de la propriété.

Janvier 2011

> La période maximale d'amortissement des prêts est réduite de 35 ans à 30 ans. Il n'est plus possible d'obtenir une assurance prêt sur les marges de crédit hypothécaire. Le refinancement est dorénavant plafonné à 85% de la valeur de la propriété.

Juillet 2012

> Ottawa resserre encore les règles hypothécaires. Il fait passer de 30 à 25 ans la période maximale d'amortissement des prêts hypothécaires et réduit le montant maximum d'un prêt de refinancement à 80% de la valeur de la maison, comparativement à 85% auparavant. Cette décision vise à calmer l'ardeur des acheteurs, qui s'endettent à des niveaux records en profitant de taux d'intérêt au plancher.