L'actionnaire militant William Ackman a gagné sur toute la ligne en obtenant la tête de Fred Green, chef de la direction du Canadien Pacifique (T.CP).

Sa victoire sans équivoque envoie un message aux conseils d'administration des grandes sociétés canadiennes qui pouvaient se sentir à l'abri d'un tel putsch, croient des observateurs avertis des questions de gouvernance des sociétés cotées en Bourse.

«C'est très difficile de réaliser ce que M. Ackman a réussi. C'est un signe des temps. Avant, c'était très difficile à faire, puisque les investisseurs institutionnels ne voulaient pas se mettre des administrateurs à dos, dit Denis Durand, associé principal chez Jarislowsky Fraser. Le temps est à l'indignation», ajoute-t-il.

M. Durand refuse toutefois de qualifier la cabale de M. Ackman de plus grande bataille de sollicitation de procurations au Canada. «Il y a eu des batailles plus féroces dans le passé, surtout quand il y avait des traitements différents pour les deux catégories d'actions», dit-il en évoquant l'épisode de l'offre d'achat de Télé-Capitale par TVA.

Le gestionnaire croit que le succès de M. Ackman aura valeur de précédent. «Ça va encourager d'autres à faire pareil, pourvu que ça soit dans le même esprit. M. Ackman avait un dossier bien étoffé. Il ne faudrait pas ça serve à n'importe qui à lancer n'importe quoi», dit-il.

Bill Ackman critiquait l'efficacité du transporteur ferroviaire et sa rentabilité moindre. Le ratio d'efficacité s'élevait à 81%, en 2011, un taux supérieur à la moyenne de son industrie et beaucoup plus élevé que celui du CN, à 66,2%. Le ratio d'efficacité représente le montant de dépenses requises pour générer un dollar de revenu.

Hier, tout juste avant l'assemblée des actionnaires du CP, la société a annoncé la démission de son chef de la direction et le retrait de quatre administrateurs sortants, dont le président du conseil, John Cleghorn. Il est attendu que Hunter Harrison, patron du CN à la retraite, remplace M. Green.

M. Ackman, qui est devenu actionnaire du CP en septembre 2011 et qui détenait 14,2% des droits de vote, a fait élire les sept candidats qu'il proposait au titre d'administrateur.

Le premier actionnaire du CP a obtenu l'appui de deux investisseurs institutionnels dans sa bataille, soit Teachers' et l'Office d'investissement du fonds de pension du Canada.

Une nouvelle tendance

Réal Labelle, titulaire de la chaire de gouvernance Stephen A. Jarislowsky, croit aussi au précédent que la victoire d'Ackman va créer au Canada. «C'est une tendance qui se confirme. Avant, les institutionnels ne se regroupaient pas. Depuis, ils ont fondé la coalition pour la bonne gouvernance. Maintenant, ils sont moins gênés de mettre ensemble leur pouvoir économique pour changer les mauvaises habitudes du management», avance le professeur de HEC Montréal.

Selon Jean-Luc Landry, président de Landry Morin, le résultat est une conséquence de l'intégration des marchés boursiers à l'échelle du continent. «On voit ce genre de bataille aux États-Unis depuis les années 80.»

À ses yeux, c'est une bonne chose que le phénomène traverse la frontière. Intuitivement, le gestionnaire de type momentum dit croire que la gestion des entreprises s'en trouve généralement améliorée à la suite d'attaques du genre. L'action du CP a d'ailleurs bondi de 74% depuis l'arrivée d'Ackman dans son capital-actions.

De son côté, François Meloche, gestionnaire des risques extrafinanciers pour Bâtirente, ne serait par surpris que les conseils d'administration réagissent à la situation vécue par le CP et se mettent à imaginer des stratagèmes de défense.

«Ce qui pourrait être tiré de cet événement, c'est que toutes les entreprises vont avoir peur et vont commencer à adopter des mesures de protection qui paraissaient jusqu'à maintenant excessives», dit-il en faisant allusion à certains régimes de droits des actionnaires particulièrement pointilleux.