Quelques jours avant un budget fédéral qui s'annonce déterminant pour rétablir l'équilibre budgétaire au Canada, les provinces et les territoires nous ont fait part de leurs attentes. Tandis que les provinces de l'Ouest encouragent la discipline fiscale à Ottawa, d'autres, comme le Québec et l'Ontario, craignent les contrecoups des compressions fédérales. Ont-elles raison d'avoir peur?

Le ministre des Finances du Manitoba, Stan Struthers, sait ce qu'il fera jeudi à 16h: «Je vais être rivé à l'écran de mon téléviseur pour regarder le discours du budget fédéral, dit-il. Quelles que soient les décisions, nous voulons nous assurer qu'elles n'auront pas d'impact négatif sur notre province.»

Les conservateurs de Stephen Harper présenteront la semaine prochaine leur premier vrai budget de gouvernement majoritaire. Au Canada, l'exercice est toujours périlleux, vu la nécessité de composer avec les intérêts hétérogènes et souvent très divergents des provinces, des territoires, des individus, des groupes de pression ou des entreprises.

Or, celui de 2012-2013 revêt une importance particulière: c'est le premier budget de compressions, dans le cadre du plan d'action économique mis en oeuvre par le gouvernement Harper dans la foulée de la crise financière, en 2009. Ottawa espère éliminer ses déficits au plus tard en 2015-2016. Pour y arriver, il devra sabrer ses dépenses: près de 8 milliards pourraient y passer d'ici à 2015.

Stephen Harper a beau avoir promis à maintes reprises qu'il ne réduira pas les transferts aux provinces pour retrouver le confort des surplus, certaines d'entre elles sont nerveuses. C'est le cas du Québec et de l'Ontario, entre autres, qui exhortent Ottawa depuis quelques semaines à «ne pas faire l'équilibre budgétaire sur le dos des provinces».

Or, un tour de table mené par La Presse auprès des ministères des Finances de tous les territoires et provinces du Canada montre que tous ne partagent pas nécessairement cette inquiétude. Nous avons demandé à chacun d'entre eux de nous faire part de ses attentes à l'égard du budget fédéral. Leurs réponses reflètent la diversité régionale du Canada, tant en matière d'économie que de politique.

L'Alberta, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique, par exemple, s'en tiennent surtout à des priorités d'ordre économique: discipline fiscale, élimination rapide du déficit et faibles taux d'imposition. «Nous ne voulons pas nous retrouver, au fédéral ou au provincial, dans une position où notre intégrité économique serait diminuée parce que nous n'avons pas été disciplinés», a-t-on fait savoir au bureau du ministre des Finances de la Colombie-Britannique.

En revanche, «plus on se déplace vers l'est, plus on souhaite une forme de participation du gouvernement fédéral», note Paul Thomas, professeur émérite de sciences politiques à l'Université du Manitoba.

Craintes fondées?

Les craintes exprimées dans le centre et l'est du Canada pourraient s'avérer fondées, croit pour sa part Bryan Evans, professeur de sciences politiques et d'administration publique à l'Université Ryerson, à Toronto. «Je pense que ce qu'on va voir, ce sont des coupes qui vont tomber de manière disproportionnelle sur l'Ontario et le Québec», juge le professeur. C'est vrai entre autres pour les compressions attendues dans la fonction publique (des dizaines de milliers d'employés pourraient perdre leur emploi), dont le gros de la main-d'oeuvre est largement concentré dans le centre du pays.

En revanche, «les bénéficiaires du budget seront les provinces qui se portent relativement bien actuellement, notamment pour ce qui touche les exportations vers l'Asie et les États-Unis». En d'autres termes: les provinces de l'Ouest, dont la Saskatchewan et l'Alberta, riches en hydrocarbures, en potasse et en gaz naturel.

Quant aux provinces atlantiques, elles ne seront pas nécessairement épargnées: «Le gouvernement fédéral y joue un rôle important en matière d'emploi, particulièrement en Nouvelle-Écosse, où la Défense nationale a des bases militaires», note M. Evans.

Ce dernier est par ailleurs convaincu qu'il s'agira d'un budget d'une importance capitale pour l'avenir du pays. «Je crois que nous serons témoins d'une rupture, dit-il. Ce sera en quelque sorte le coup de grâce de l'État providence intergouvernemental bâti par Leaster B. Pearson dans les années 60.»

Il faudra néanmoins attendre à jeudi pour voir où le couperet tombera et qui, ou encore quoi, écopera. La Défense nationale? Les fonctionnaires? Les régimes de pension? Les subventions de l'Agence canadienne de développement international? Ou même certains transferts? Pour le savoir, plusieurs ministres des Finances, comme Stan Struthers du Manitoba, risquent d'avoir les yeux rivés sur leur téléviseur pour entendre leur homologue Jim Flaherty prononcer son discours à la Chambre des communes.

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COLOMBIE-BRITANNIQUE

Parti au pouvoir: Parti libéral

Déficit*: 309 millions

Dette*: 30,6 milliards

- Discipline fiscale en temps de difficultés économiques mondiales.

ALBERTA

Parti au pouvoir: Association progressiste-conservatrice

Déficit: 3,4 milliards

Dette: -18,3 milliards (surplus)

- Maintien d'un environnement fiscal compétitif pour les individus et les entreprises.

- Retour aux budgets équilibrés le plus rapidement possible.

SASKATCHEWAN

Parti au pouvoir: Parti saskatchewanais

Déficit: 48 millions

Dette: 3,6 milliards

- Discipline fiscale et dépenses raisonnables dans les services essentiels du gouvernement.

- Retour aux budgets équilibrés le plus rapidement possible.

- Éviter de rejeter sur les provinces les responsabilités d'Ottawa pour équilibrer le budget fédéral.

MANITOBA

Parti au pouvoir: NPD

Surplus: 70 millions

Dette: 13,2 milliards

- Maintien de transferts fédéraux importants.

- Éviter de rejeter sur les provinces les responsabilités d'Ottawa pour équilibrer le budget fédéral.

- Engagement ferme envers un financement stable et à long terme des soins de santé, capable de répondre à la demande croissante.

- Meilleur financement en éducation pour les autochtones.

ONTARIO

Parti au pouvoir: Parti libéral

Déficit: 14 milliards

Dette: 215 milliards

- Rétablir le déficit fiscal de 12 milliards par année qui nuit à la province.

- Discuter de la possibilité d'augmenter le Régime de pension de manière modeste et graduelle.

- Trouver des moyens de travailler de concert pour éliminer les déficits (échappatoires fiscales, contrebande, etc.).

QUÉBEC

Parti au pouvoir: Parti libéral

Déficit: 4,2 milliards

Dette: 159 milliards

- «Ne pas faire l'équilibre budgétaire sur le dos des provinces.»

- Éviter de nuire à l'économie du Québec, «en croissance modérée».

- Préserver les ententes et transferts fédéraux, dont ceux sur la mobilité de la main-d'oeuvre et l'immigration.

NOUVEAU-BRUNSWICK

Parti au pouvoir: Parti progressiste-conservateur

Déficit: 633 millions

Dette: 9,5 milliards

- Investissement fédéral plus juste dans la recherche et le développement au Nouveau-Brunswick.

- Ne pas transférer les responsabilités fédérales aux provinces pour équilibrer le budget.

- Tenir compte des répercussions graves que peuvent avoir des suppressions d'emplois dans la région de l'Atlantique, compte tenu du faible niveau de population.

NOUVELLE-ÉCOSSE

Parti au pouvoir: NPD

Surplus: 569 millions

Dette: 12,8 millions

- Des mesures pour faire croître l'économie.

- Des mesures pour améliorer les soins de santé pour les familles néo-écossaises.

- Travailler de concert pour la mise en oeuvre de projets d'envergure, donc Lower Churchill ou l'important contrat de construction navale.

- Maintien d'une présence fédérale importante dans la province.

ÎLE-DU-PRINCE-ÉDOUARD

Parti au pouvoir: Parti libéral

Déficit: 54 millions

Dette: 1,7 milliard

- Un traitement équitable de chaque province, d'une manière qui reconnaît leurs caractéristiques propres.

- Maintien d'une présence fédérale importante dans la province.

- Une appréciation de l'importance des paiements de transfert.

TERRE-NEUVE ET LABRADOR

Parti au pouvoir: Parti progressiste-conservateur

Surplus: 485 millions

Dette: 8,2 milliards

- Traitement juste et équitable de la province.

- Éviter un impact négatif de la lutte contre le déficit sur les services fédéraux, dont ceux qui sont cruciaux pour la santé, la sécurité et la viabilité économique de la province.

YUKON

Parti au pouvoir: Parti du Yukon

Déficit: 20 millions

Dette: -18 millions (surplus)

- «Nous concentrons nos énergies sur notre propre budget pour l'instant et nous n'avons pas de demandes en tant que telles pour le gouvernement fédéral.»

TERRITOIRES DU NORD-OUEST

Parti au pouvoir: Aucun (système de gouvernement de consensus)

Surplus: 6 millions

Dette: n.d.

- Partenariats pour stimuler l'économie du Nord, dont des investissements dans une autoroute et le développement durable.

- Investissement et réforme à long terme des soins de santé particuliers au Nord.

- Investissements dans le développement social pour contrer la pauvreté, les problèmes de logement et aider à la formation professionnelle.

NUNAVUT

Parti au pouvoir: Aucun (système de gouvernement de consensus)

Surplus: 48 millions

Dette: 101 millions

- Investissement fédéral pour faire face à la crise du logement.

- Investissement fédéral dans les infrastructures.

- Prolongation à long terme de l'Initiative de viabilité du système de santé des territoires.

* Les renseignements sur le déficit budgétaire et la dette des provinces et des territoires émanent du ministère des Finances du Canada (en date d'octobre 2011) et portent sur l'année financière 2010-2011.

Nous avons demandé à chaque province et territoire de nous faire part de ses trois principales attentes, demandes ou priorités pour le budget fédéral de jeudi. La forme des réponses, comme leur contenu, a largement varié.