Le gouvernement Harper abandonne l'idée de créer une commission nationale des valeurs mobilières après avoir subi les remontrances de la Cour suprême du Canada sur la constitutionnalité de son projet controversé.

> La décision de la Cour suprême du Canada

Le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, a indiqué hier qu'Ottawa compte respecter l'avis unanime du plus haut tribunal du pays qui soutient que la réglementation des valeurs mobilières relève de la compétence des provinces. Ce faisant, la Cour suprême donne raison à plusieurs provinces qui contestaient les velléités d'Ottawa, dont le Québec et l'Alberta.

«Nous avons la décision de la cour et nous allons la respecter. Il est clair que nous ne pouvons pas aller de l'avant avec ce projet de loi. Nous allons étudier cette décision attentivement et nous allons agir en conséquence», a affirmé M. Flaherty dans une déclaration publiée par son bureau.

Le gouvernement Harper tente de convaincre les provinces depuis 2007 d'accepter la création d'une commission nationale. Mais devant l'opposition de plusieurs provinces, il a sollicité l'avis de la Cour suprême afin de trancher la question de savoir si Ottawa peut légiférer en la matière dans le contexte de la mondialisation des échanges. Durant les audiences en avril, le gouvernement fédéral a fait valoir que le commerce avait évolué d'une manière telle que cela lui donnait maintenant le pouvoir d'intervenir sans retenue dans ce domaine.

La Cour suprême du Canada n'est pas du tout de cet avis. Selon elle, le gouvernement Harper viole les principes du partage des pouvoirs de la Constitution canadienne en tentant de créer une commission nationale des valeurs mobilières.

Cette décision rend donc invalide le projet de loi sur les valeurs mobilières proposé par le gouvernement Harper pour créer une commission nationale des valeurs mobilières. Ce projet de loi, annoncé par le ministre des Finances Jim Flaherty au printemps 2010, ne pourra donc être adopté par la Chambre des communes dans sa forme actuelle.

«La loi proposée consiste en une intrusion massive par le Parlement dans le domaine de la réglementation des valeurs mobilières. Si elle est validement adoptée, elle créera un régime unique de gestion du commerce des valeurs mobilières pour l'ensemble du Canada, un régime assujetti à la surveillance d'un organisme national unique chargé de la réglementation des valeurs mobilières», affirme le plus haut tribunal du pays.

«Le Canada n'a pas démontré que le marché des valeurs mobilières a changé au point que la réglementation de tous les aspects du commerce des valeurs mobilières relève désormais du volet général du pouvoir du Parlement en matière de trafic et de commerce», ajoute la Cour suprême.

Cela dit, le plus haut tribunal accepte que certains aspects du marché des valeurs mobilières aient une portée nationale et touchent l'ensemble du pays. À titre d'exemple, le gouvernement fédéral a un rôle pour contrer ce que le tribunal appelle les «risques systémiques», c'est-à-dire des risques qui entraînent un effet domino «où le risque de défaillance d'un participant du marché nuit à la faculté des autres de s'acquitter de leurs obligations juridiques et provoque une série de chocs économiques néfastes qui se répercutent dans l'ensemble d'un système financier».

Mais bon nombre des dispositions de la loi proposée par le gouvernement Harper vont au-delà des pouvoirs qui sont conférés à Ottawa en matière de réglementation du commerce.

La Cour suprême soutient aussi que rien n'empêche le gouvernement fédéral et les provinces d'exercer «harmonieusement leurs pouvoirs respectifs quant aux valeurs mobilières, dans l'esprit du fédéralisme coopératif».

Toutefois, il ne revient pas aux tribunaux de trancher la question politique de savoir quel régime de réglementation serait souhaitable pour le pays.

Des précédents

La Cour suprême du Canada est le troisième tribunal du pays à se ranger aux arguments des provinces. Déjà, les cours d'appel du Québec et de l'Alberta avaient rendu des jugements stipulant que la réglementation des valeurs mobilières relève de la compétence des provinces. En tout, donc, 19 juges se sont penchés sur cette question au pays et 18 d'entre eux ont entériné les arguments des provinces.

Le NPD, le Parti libéral et le Bloc québécois ont salué l'avis rendu par la Cour suprême. Le député libéral Scott Brison a soutenu que le gouvernement Harper aurait dû attendre l'avis de la Cour suprême avant d'engager quelque dépense que ce soit pour créer la commission nationale. Le ministre Flaherty a dépensé en tout 27 millions de dollars dans ce projet jusqu'ici, en mettant notamment sur pied un bureau de transition vers un régime canadien.

Le PQ demande au gouvernement Harper de s'engager à ne pas présenter de nouveau projet de loi pour créer une commission canadienne. «Ça va faire! On espère que le gouvernement fédéral a compris», a lancé son porte-parole en matière d'Affaires intergouvernementales, Bernard Drainville.

Il regrette le temps et l'argent que Québec a dû dépenser simplement «pour éviter un recul».

La CAQ s'est réjouie du jugement unanime. «C'est une excellente nouvelle», a lancé son attaché de presse, Jean-François del Torchio. Lui aussi s'opposerait à tout nouveau projet de loi pour créer une commission unique pour le pays.

- Avec Paul Journet