Chaque année, Ottawa distribue des milliards en bonbons fiscaux aux entreprises du pays pour les inciter à innover. Or, celles-ci croupissent au fond des classements internationaux en innovation. Les contribuables en ont-ils pour leur argent? Faut-il changer de stratégie? Portrait d'un sujet qui divise profondément le monde de l'innovation.

«Que je ne voie pas un fonctionnaire aller se mettre le nez dans la recherche et dire aux entrepreneurs quels projets vont marcher et quels projets ne vont pas marcher. Je vous le dis: je vais monter au créneau et me battre pour que ça n'arrive pas.»

Guy Drouin, fondateur et président de l'entreprise québécoise Biothermica, se décrit comme un «vieux routier» du monde de l'innovation. Et comme plusieurs par les temps qui courent, il s'enflamme rapidement si vous discutez avec lui des mesures de soutien aux entreprises innovantes comme la sienne.

Ce qui préoccupe M. Drouin est l'avenir d'un programme qui, a priori, n'a pourtant rien pour soulever les passions: une initiative gérée par l'Agence du revenu du Canada et nommée «programme de la recherche scientifique et développement expérimental», mieux connu sous son acronyme RS&DE.

«Il y a un débat d'émotions», constate toutefois Jean-Louis Legault, PDG de l'Association pour le développement de la recherche et de l'innovation du Québec (ADRIQ).

Le programme RS&DE, s'il est peu connu du public, représente la pierre angulaire de la stratégie canadienne en innovation. Créé pour inciter les entreprises à innover, il permet à ces dernières de réclamer des crédits d'impôt pour les dépenses faites en recherche et développement (R-D).

Or, ce programme est aujourd'hui remis en question. En octobre 2010, Ottawa a mandaté un groupe d'experts pour l'examiner sous toutes ses coutures et savoir s'il doit être modifié. Leurs recommandations tomberont d'ici octobre prochain.

Pourquoi une révision? D'abord parce que le programme coûte cher aux contribuables canadiens. L'an dernier, plus de 21 000 d'entreprises en ont bénéficié, pour une facture totale de 3,5 milliards. Le mois dernier, le Conseil des sciences, de la technologie et de l'innovation a étudié les stratégies d'innovation de 23 pays. Ses conclusions: par rapport à la taille de son économie, le Canada est celui qui dépense le plus en crédits d'impôt à la R-D.

Le hic, c'est que malgré des avantages fiscaux parmi les plus généreux au monde, les entreprises canadiennes investissent moins en R-D et brevettent significativement moins d'inventions que celles des autres pays de l'OCDE.

Pour Pierre-Olivier Lachance, chercheur au Centre sur la productivité et la prospérité à HEC Montréal, le cas est indéfendable.

«Nos recherches montrent qu'il y a énormément de dépenses en R&D, mais qu'il en résulte peu d'inventions brevetées.

Selon nous, c'est le programme de crédits d'impôt à la R&D qu'il faut montrer du doigt.»

Comme bon nombre d'observateurs, M. Lachance suggère non pas de couper l'aide publique à la recherche, mais de l'octroyer différemment. Sa proposition: plutôt que de miser massivement sur les crédits d'impôt, une aide qualifiée d'indirecte, le Canada devrait faire une plus grande place à «l'aide directe», c'est-à-dire aux subventions.

«Des études montrent que les dollars dépensés en aide directe rapportent plus que ceux dépensés en aide indirecte», explique M. Lachance.

C'est cette proposition qui soulève l'ire de l'entrepreneur Guy Drouin cité plus haut. Jean-Louis Legault, PDG de l'Association pour le développement de la recherche et de l'innovation du Québec (ADRIQ), croit aussi qu'on fait fausse route en blâmant les crédits d'impôt pour expliquer le retard canadien en l'innovation. «Si on regarde bêtement les sommes investies et la performance sur le terrain, il y a un écart, concède M. Legault. Mais est-ce que ça veut dire qu'il y a un phénomène de cause à effet direct? Je ne pense pas.»

Plutôt que de sabrer le programme, M. Legault propose au contraire de le bonifier pour que les activités de commercialisation soient aussi admissibles aux crédits d'impôt.

Cette position rallie bon nombre d'entreprises et d'associations d'affaires qui ont soumis des mémoires dans le cadre de la révision du programme RS&DE.

Évidemment, que des gens qui bénéficient d'un programme plaident pour son maintien ne prouve pas sa pertinence. Mais cette position rejoint aussi l'Association de planification fiscale et financière (APFF), un regroupement de fiscalistes de tous les horizons.

«Le Canada fait encore piètre figure quand on regarde les investissements des entreprises en R-D. Par contre, nous ne croyons pas que ce soit parce que le programme n'est pas efficient et qu'il faille remplacer l'aide indirecte par l'aide directe», dit Renée Gallant, responsable du dossier à l'APFF.

Encensée par certains, vertement dénoncée par d'autres, la stratégie canadienne d'innovation est sur la sellette. Et Ottawa risque de faire des mécontents... peu importe de quel côté il penchera.

Photo: Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Guy Drouin, fondateur et président de l'entreprise québécoise Biothermica, se décrit comme un «vieux routier» du monde de l'innovation.