En dépit de l'un des programmes de crédits d'impôt les plus généreux du monde, les entreprises canadiennes croupissent au fond des classements internationaux quand vient le temps d'innover. Une situation qui en amène certains à se questionner sur la stratégie canadienne de soutien à la recherche.

Un rapport dévoilé hier par le Conseil des sciences, de la technologie et de l'innovation montre à quel point le Canada fait bande à part lorsqu'il s'agit de soutenir la recherche et le développement (R-D) des entreprises privées.

Des 23 pays étudiés par l'organisme, le Canada est celui qui investit le plus d'argent public dans les crédits d'impôt à la R-D, ces cadeaux fiscaux accordés aux entreprises qui font de la recherche.

À l'inverse, le Canada est pratiquement dernier dans ce qu'on appelle le financement «direct», soit l'attribution de subventions et de prêts aux entreprises pour des projets de recherche spécifiques.

Le pays se classe 21e sur 23 à ce chapitre, seuls la Pologne et le Mexique se montrant moins généreux.

Le hic, c'est que cette stratégie de miser presque uniquement sur les crédits fiscaux pour inciter les entreprises à innover ne semble pas donner les résultats espérés.

Les entreprises canadiennes investissent deux fois moins en recherche que celles de la Suède, de la Finlande ou du Japon, des pays pourtant beaucoup moins généreux en crédits d'impôt. En tout, les entreprises canadiennes se classent au 15e rang sur 23 pour leurs niveaux d'investissement en recherche, loin derrière la moyenne des pays du G7.

«Il faut regarder ça et se demander si c'est la bonne façon de faire. Le total des investissements est semblable à ce qu'on voit aux États-Unis, mais on le fait de façon complètement différente. Le fait qu'on soit aux deux extrémités du spectre - premier en investissements indirects comme les crédits de R-D et pratiquement dernier dans les investissements directs - soulève des questions», a dit à La Presse Affaires Guy Rouleau, directeur du Centre de recherche du centre hospitalier Sainte-Justine et membre du Conseil des sciences, de la technologie et de l'innovation.

Le Canada devrait-il orienter une partie des trois milliards d'aide fiscale octroyée, bon an, mal an, aux entreprises vers de l'aide directe?

«Absolument. C'est tout à fait la tendance internationale», tranche Céline Bak, associée du Groupe Analytica, cabinet-conseil spécialisé dans la commercialisation de la technologie.

Selon elle, l'avantage des investissements directs est qu'ils permettent de soutenir des projets particuliers. À l'inverse, les crédits d'impôt sont offerts à n'importe quelle entreprise qui fait de la recherche, peu importe la nature de celle-ci.

«L'avantage est qu'on peut voir quels sont les objectifs de chaque projet, évaluer leur viabilité, connaître les partenaires privés. On peut voir quelle est la solidité de l'entreprise qu'on soutient et voir s'il existe vraiment des clients pour la technologie soutenue», explique Mme Bak.

Le gouvernement fédéral semble d'ailleurs en voie de rééquilibrer sa stratégie. Lors du budget 2009, 200 millions de dollars de plus ont été accordés au Programme d'aide à la recherche industrielle du Conseil national de recherches du Canada, le principal programme de financement direct des petites entreprises.

Une note de C"

En général, le document publié hier dresse un portrait critique de la situation de l'innovation au Canada. Si le pays peut compter sur des atouts de taille - la qualité de sa main-d'oeuvre et l'excellence de sa recherche publique, notamment -, il semble incapable d'en tirer profit. La commercialisation des idées demeure le talon d'Achille des Canadiens, et le transfert des découvertes du monde universitaire vers l'industrie ne se fait pas.

«Je pense que le message principal, c'est qu'on a un grand potentiel sous-exploité», résume Guy Rouleau, qui donne globalement une note de C" au Canada en matière d'innovation.

Pour joindre notre journaliste: pmercure@lapresse.ca

- Le Canada investit 0,22% de son produit intérieur brut (PIB) en mesures d'encouragement fiscales à la recherche et développement (R-D). Il se classe premier des 23 pays étudiés.

- Le Canada investit 0,02% de son PIB en financement direct de la R-D auprès des entreprises. Il se classe 21e sur 23.

- Résultat: les entreprises canadiennes investissent 1,84% du PIB du pays en R-D. Elles se classent 15e rang des 23 pays étudiés, loin de la moyenne des pays du G7.