Le service postal devrait reprendre d'ici quelques jours, après un débat marathon d'une durée totale de 58 heures à l'issue duquel la Chambre des communes a adopté un projet de loi ordonnant aux employés de Postes Canada, en lock-out depuis onze jours, de retourner au travail.

Ce projet de loi avait été présenté après que la société d'État ait suspendu ses opérations, à la suite d'une série de grèves rotatives du syndicat au début de juin. Le Parti conservateur soutenait que cette loi spéciale était devenue nécessaire parce que le conflit de travail faisait du tort à l'économie.

Le premier ministre Stephen Harper a émergé de la Chambre des communes flanqué de la ministre du Travail, Lisa Raitt, afin de commenter le dénouement de ce conflit de travail.

«Nous savons maintenant de quel côté la population penchait et je pense qu'aujourd'hui, les députés qui siègent de l'autre côté à la Chambre des communes ont compris le message», a-t-il déclaré.

Qualifiant les trois jours de débat ininterrompus de «délai inutile», Stephen Harper s'est dit «heureux malgré tout que les Canadiens puissent avoir de nouveau accès à leur service postal, tout particulièment les petites entreprises et les organismes caritatifs».

«Notre gouvernement conservateur a reçu un mandat fort des Canadiens pour mener à bien notre reprise économique», a par ailleurs affirmé Mme Raitt dans un communiqué émis tard samedi.

«Il est évident que cet arrêt de travail cause des torts importants aux petites entreprises et aux consommateurs partout au pays. Nous agissons pour protéger l'économie du pays grâce à une mesure législative équitable qui permettra aux Canadiens de recevoir leur courrier», a ajouté la ministre.

Depuis jeudi, les députés du Nouveau Parti démocratique (NPD) avaient utilisé tout le temps de parole à leur disposition pour retarder l'adoption de cette loi spéciale, au point où les échanges duraient jour et nuit. Celle-ci a finalement été adoptée samedi soir.

«Il y a eu de longs débats, mais ce que les gens ne savaient pas, c'est que des discussions ont eu lieu et qu'il y a eu des rapprochements à deux reprises (...) C'est pour cela que le NPD a fait durer le débat», a expliqué le président de la section locale de Montréal du STTP, Alain Duguay.

Au cours des échanges, le NPD a vertement critiqué le projet de loi, critiquant certaines dispositions salariales et l'instauration d'un système qui laisse l'entente entre les mains d'un arbitre qui choisira lequel des deux camps propose la meilleure offre.

Visiblement dépité, le chef du NPD, Jack Layton, ne s'est pas adressé aux journalistes à l'issue du vote. Son leader adjoint, Thomas Mulcair, s'en est chargé. Il a déclaré que les Canadiens devraient prendre bonne note de ce qui vient de se produire.

«C'est un indice de ce qui attend les autres travailleurs syndiqués du secteur public. Mais c'est aussi un signal que les conservateurs envoient au patronat: c'est un bar ouvert. Ils peuvent désormais s'attaquer aux droits acquis de leurs employés, syndiqués ou non», a prévenu le député d'Outremont.

L'annonce du dépôt éventuel de ce projet de loi avait fait naître une lueur d'espoir. La menace qui planait sur les deux parties aurait pu encourager celles-ci à en venir à une entente négociée, comme l'ont fait Air Canada et ses employés après que les conservateurs eurent annoncé qu'un projet de loi forçant un retour au travail était en préparation.

Ce ne fut pas le cas. Les pourparlers entre les deux parties ont atteint une impasse tard mercredi et des membres du Syndicat des travailleurs et travailleuses des Postes (STTP) ont soutenu que le projet de loi avait incité les dirigeants de Postes Canada à négocier avec moins d'empressement. Des représentants de l'employeur ont rencontré le STTP samedi matin, mais ils ne sont pas arrivés à combler le gouffre séparant les deux parties.

La loi devrait obtenir la sanction royale dimanche après-midi, à l'issue d'une réunion extraordinaire du Sénat, dominé par les conservateurs. On ignore exactement à quel moment le service postal reprendra. Postes Canada n'a pas souhaité le confirmer, alléguant que la loi est toujours devant le Parlement.

Le président national et négociateur en chef du STTP, Denis Lemelin, doit contacter l'employeur dimanche matin afin de discuter des modalités de retour au travail. En attendant, il accuse le coup tant bien que mal.

«C'est évident qu'on est très déçus de l'adoption du projet de loi, mais en même temps, c'est un dur coup au niveau du droit à la libre négociation. Le gouvernement Harper semble prendre cette voie de tenter d'enlever les droits aux travailleurs et aux travailleuses», a affirmé M. Lemelin en entrevue à La Presse Canadienne, samedi soir.

L'adoption de cette loi laisse présager un «climat de travail extrêmement difficile» chez Postes Canada, a-t-il soutenu avant de décocher une autre flèche en direction de l'employeur et du gouvernement.

«Nous sommes convaincus que le lock-out est arrivé à un moment où il y avait collusion entre le gouvernement Harper et Postes Canada, a-t-il lancé. À partir de ce moment, il n'y avait plus de négociations. C'était une intransigeance totale au niveau des relations de travail et de la possibilité de négocier.»

Selon un porte-parole syndical, les travailleurs n'ont pas l'intention de défier la loi spéciale en raison des amendes salées dont ils pourraient écoper. Le syndicat s'expose à des contraventions pouvant aller jusqu'à 100 000 $ en cas de désobéissance. Quant aux employés, ils peuvent être sommés de payer 1000 $ par jour.

«Nous avons vu quelles sont les sanctions. Je crois qu'aucun de nos membres et qu'aucun représentant de l'organisation ne peut encaisser une telle pénalité financière», a déclaré le secrétaire-trésorier national du STTP, George Kuehnbaum.

Il assure, par ailleurs, que la population ne fera pas les frais de la colère des employés syndiqués de Postes Canada.

«Est-ce qu'il y aura de l'amertume lors du retour au travail? Certainement pas à l'égard de la population, mais nos membres seront assurément amers envers les dirigeants», a-t-il affirmé.

«Il n'y a qu'un seul gagnant, s'est désolé M. Kuehnbaum. L'histoire nous a prouvé qu'un tel règlement peut avoir un impact négatif sur les relations de travail.»

La société d'État a maintenu que les demandes du syndicat étaient insoutenables. Les revendications en matière de nouvelles embauches, et non les demandes salariales, étaient le principal point d'achoppement, selon Postes Canada.

Le syndicat avait notamment mis l'accent sur les conditions de travail de ses membres, faisant valoir que les nouveaux employés seraient moins bien rémunérés et que leurs pensions de retraite seraient inférieures.