Sous Michael Sabia, la Caisse de dépôt a décidé de diminuer son risque, alors que Teachers', à laquelle la Caisse est souvent comparée, a augmenté le sien en utilisant plus d'effet de levier financier en 2010. Y a-t-il quelqu'un quelque part qui s'en inquiète?

Le régime de retraite des enseignants de l'Ontario a réalisé un rendement de 14,3%, supérieur, encore une fois, à celui de la Caisse de dépôt qui a obtenu 13,6% en 2010.

Au-delà de la performance, c'est l'augmentation du risque financier pris par Teachers' en 2010 qui a retenu l'attention de Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques et ancien numéro 2 de la Caisse de dépôt au début des années 2000.

«La proportion d'endettement de Teachers' augmente constamment depuis quatre ans et s'approche dangereusement du sommet atteint par la Caisse il y a cinq ans, écrit M. Nadeau dans une lettre envoyée à La Presse intitulée «Jusqu'où Teachers' va emprunter pour augmenter son rendement?».

Le déficit bondit de 10 milliards

À la différence de la Caisse, Teachers' est une véritable caisse de retraite, responsable à la fois de faire fructifier les cotisations de retraite et de verser les prestations aux retraités. Or, Teachers' est dans le rouge. Le déficit entre la valeur de son actif et celle de son passif a bondi de 10 milliards en un an, malgré un rendement sur l'avoir net de 14,3%. Le déficit s'établit à 32,7 milliards au 31 décembre 2010. Chaque année, il y a plus d'argent qui sort de la caisse en prestations qu'il y en a qui entre en cotisations.

Une approche conservatrice aurait été de hausser les cotisations de l'employeur, ici le gouvernement de l'Ontario, pour renflouer les coffres et adopter une politique de placement largement investi en titres de revenus fixes en accord avec le profil du régime de retraite des enseignants, qui compte 1,5 enseignant actif pour 1 enseignant à la retraite. En 1970, le rapport était de 10 pour 1.

L'effet de levier

En regardant le rapport annuel 2010, Teachers' a plutôt fait le pari de doper le rendement en augmentant son effet de levier. Le levier, c'est emprunter pour investir. «Il est très tentant de jouer l'écart entre les coûts très bas du marché monétaire et le rendement appréciable des actions et obligations», écrit Michel Nadeau.

Dans le rapport annuel de Teachers', les emprunts à court terme faits sur le marché monétaire ont augmenté de 12,7 milliards en un an, pour atteindre 31,4 milliards. Ces emprunts correspondent maintenant à 30% du portefeuille d'investissements de la caisse de retraite, au lieu de 20% en 2009. «Nos emprunts sont liés à des produits dérivés et des REPO. Cette stratégie occupe une plus grande place dans nos investissements depuis les années 90», écrit la porte-parole du régime, Deborah Allan, dans un courriel.

Le REPO

Pour illustrer qu'est-ce qu'un REPO, acronyme anglais pour Titres vendus en vertu de conventions de rachat, disons que Teachers' vend à un tiers 100 millions d'actions avec promesse de les racheter plus tard. En contrepartie, le prêteur lui prête à court terme 75 millions au taux du marché monétaire. Teachers' investit l'argent emprunté à 2 ou 3% dans des obligations ou des actions qui rapportent beaucoup plus, d'où l'effet de levier positif.

«C'est une stratégie qui fonctionne bien pourvu qu'il ne survienne pas de changements inattendus dans les taux d'intérêt», fait remarquer le professeur de finance Alan D. White, de la Rotman School of Management. Si vous regardez leurs résultats, ils font mieux que les marchés boursiers, mais pas beaucoup plus. Ça me fait dire que les gens de Teachers' ne prennent pas de risques excessifs avec l'information que j'ai sous la main.»

La valeur des REPO est passée de 9,7 milliards en 2009 à 28,2 milliards en 2010, toujours d'après le rapport annuel.

Selon le professeur de finances Maher Kooli, de l'École des sciences de la gestion de l'UQAM, la même stratégie de levier s'observe dans les fonds communs de placement. «Une gestion rigoureuse du risque est un élément important de cette stratégie», souligne-t-il.

Teachers' sera-t-elle meilleure à ce chapitre que la Caisse l'a été en 2008? «Faute d'information disponible, c'est impossible à savoir avant qu'une nouvelle crise n'éclate», dit Leo Kolivakis, ancien de la Caisse de dépôt et auteur du blogue Pension Pulse sur les régimes de retraite. En attendant, les contribuables de l'Ontario et ses enseignants devraient se croiser les doigts.

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SALAIRES ET PRIMES EN HAUSSE DE 60 MILLIONS

Le personnel de la Caisse doit bien jalouser l'équipe de Teachers'. Les dépenses administratives ont bondi de 76 millions de dollars en une seule année, constate-t-on dans le récent rapport annuel de l'institution ontarienne, dont 62 millions uniquement en salaires, primes et charges sociales. Pourtant, aucun bruit dans la presse torontoise, à notre connaissance.