La traque des actifs que les dictateurs déchus de Tunisie et d'Égypte et leurs proches détiennent au Canada est officiellement enclenchée dans tout le milieu financier et d'affaires au pays.

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Cette traque sans précédent découle de l'entrée en vigueur mercredi à Ottawa de la Loi sur le blocage de biens de dirigeants étrangers corrompus.

Et en suivi, hier, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a émis un avis spécial aux banques et quelque 430 autres entreprises financières qui relèvent de lui. Cet avis leur enjoint d'identifier des actifs qui seraient liés aux dictateurs déchus et les «signaler sur-le-champ» à la Gendarmerie royale du Canada.

La missive du BSIF cible spécifiquement les membres des familles de l'ex-président Ben Ali, en Tunisie, et de l'ex-président d'Égypte Moubarak, ainsi que leurs proches.

Les autorités internationales les soupçonnent de corruption et d'enrichissement illicite pendant leurs décennies de régimes dictatoriaux, mais qui ont succombé récemment à de vifs soulèvements populaires.

Dans le cas du régime déchu de Tunisie, la liste d'individus distribuée dans le milieu financier comprend 48 noms, à commencer par l'ex-président Zine el-Abidine Ben Ali et sa conjointe, Leila Trabelsi.

Dans le cas du régime déchu en Égypte, la liste distribuée par le BSIF comprend 21 noms, dont l'ex-président Hosni Alsayed Moubarak et sa conjointe, Suzanne Saleh Thabet.

«Notre mandat dans une telle situation est de transmettre les listes de suspects établies par les ministères des Affaires extérieures et de la Justice. On indique aussi la marche à suivre aux entreprises financières sous notre juridiction», a indiqué Lionie Roux, porte-parole du BSIF.

Au Québec, les institutions financières comme le Mouvement Desjardins qui sont sous autorité provinciale, au lieu du BSIF fédéral, ont l'intention de suivre le mot d'ordre. «Nous sommes dans le même secteur d'activité et nous suivons les mêmes normes, même sans obligation législative directe. Et dans ce cas-ci (des biens de dirigeants étrangers corrompus), nous allons certainement nous conformer et agir comme il se doit», a indiqué André Chapleau, porte-parole de Desjardins.

La nouvelle loi fédérale a été rédigée en accéléré au cours des dernières semaines après les chutes successives des régimes corrompus en Tunisie et en Égypte.

En particulier, Ottawa devait combler le vide législatif qui l'empêchait de geler les actifs au Canada détenus par les proches du l'ex-président Ben Ali, de Tunisie, dont son richissime beau-frère Belhassen Trabelsi et sa famille.

Selon des estimations ébruitées dans la presse d'affaires torontoise, le clan Ben Ali détiendrait pour quelque 20 millions de dollars en actifs au Canada, acquis avec des fonds détournés de Tunisie. Mais il s'agit d'une estimation qui demeure non confirmée de la part du ministère fédéral de la Justice, qui a pris la direction de ce dossier après les démarches diplomatiques gérées par le ministère des Affaires étrangères.

On sait toutefois que les actifs du clan Ben Ali au Canada comprennent une maison cossue du quartier Westmount à Montréal, évaluée à 2,5 millions.

Aussi, c'est dans un hôtel de la banlieue ouest de Montréal que le principal homme d'affaires du clan Ben Ali, Belhassen Trabelsi, s'était réfugié avec sa famille après avoir fui de Tunisie en jet privé, quelques jours après la chute du régime de son beau-père président.

Depuis, M. Trabelsi et ses proches ont entrepris des procédures pour faire réhabiliter leurs permis de résidence avec les autorités fédérales de l'immigration.

Quant aux actifs au Canada qui seraient détenus par le clan Moubarak d'Égypte, aucune estimation de leur valeur n'a encore été ébruitée.

Tout au plus, les spéculations au niveau international ont fait état du détournement de plusieurs milliards de dollars hors d'Égypte durant les 29 ans de pouvoir du clan Moubarak.

Par ailleurs, dans le cas du dictateur libyen en péril, Mouammar Kadhafi, le gouvernement canadien n'a pas eu à attendre sa nouvelle loi pour saisir quelque 2 milliards en actifs attribués au régime libyen et ses proches.

Cette saisie a pu s'effectuer rapidement parce qu'elle faisait partie d'une action concertée au niveau international qui avait été entérinée par le Conseil de sécurité des Nations-Unies.

Une telle homologation internationale a fait défaut dans le cas des chutes de régimes en Tunisie et en Égypte, des chutes qui ont été moins dramatiques, militairement, que ce se passe en Libye depuis deux semaines.