La Banque de développement du Canada (BDC) a délié les cordons de sa bourse pour accorder des prêts aux entrepreneurs canadiens pendant la crise financière. Mais elle a été beaucoup plus chiche du côté du capital-risque, sabrant ses investissements du tiers pendant deux années consécutives.

> Suivez Philippe Mercure sur Twitter

Ces baisses font tiquer certains acteurs de l'industrie, qui soulignent que les entreprises qui prennent des risques en innovant ont aussi besoin d'aide dans le contexte actuel. Et, selon eux, le rôle de la BDC, société fédérale de la Couronne, est justement de les soutenir.

«Pour une raison qui reste à déterminer, les entrepreneurs canadiens des secteurs techno et des sciences de la vie ne reçoivent tout simplement pas la même attention de la part des dirigeants de la BDC que les entreprises établies», a dit à La Presse Affaires Mark McQueen, président et chef de la direction de Wellington Financial, firme de capital-risque de Bay Street.

Lors du dévoilement de son rapport annuel, le mois dernier, la BDC s'était targuée d'avoir volé au secours des entreprises canadiennes pendant la crise du crédit en augmentant son aide globale de 53% au cours de l'année financière 2010, terminée le 31 mars dernier.

Pendant la même période, la BDC n'a cependant déboursé que 58,2 millions en capital-risque pour soutenir l'innovation au pays, une baisse de 33% par rapport à la somme de 2009. Cette dernière somme était elle-même inférieure de 33% à celle de l'année précédente.

Jacques Simoneau, vice-président à la direction, investissements, à la BDC, explique que ce n'est ni le manque de capital, ni le manque d'occasions qui empêche la BDC d'investir en capital-risque, mais le fait que tous les autres acteurs de l'industrie se sont retirés du marché. Investir seul, dit-il, serait trop risqué et inconséquent.

«On est capables de jouer notre rôle dans le marché, mais il y a beaucoup moins d'autres acteurs qu'il y en avait. Des acteurs qui ont des capitaux à investir, on les compte sur les doigts de notre main», dit-il.

Mark McQueen, de Wellington Financial, convient que l'industrie du capital-risque en général a le pied sur le frein actuellement. Mais il note que la BDC, au lieu d'essayer d'entraîner les autres à investir plus, a réduit sa contribution davantage que l'ensemble de l'industrie.

Les chiffres de l'Association du capital de risque et d'investissement montrent en effet une diminution de 27% de l'ensemble du capital-risque au Canada en 2009, comparativement à un recul de 33% pour BDC de mars 2009 à mars 2010.

Les chiffres de la BDC indiquent aussi que, dans les projets où elle investit, sa part est passée de 23% l'an dernier à 15% en 2010, laissant donc assumer une part plus grande à ses co-investisseurs.

Cercle vicieux

En refusant d'investir parce que les autres refusent d'investir, n'y a-t-il pas un risque d'entretenir un cercle vicieux? «Oui, admet M. Simoneau. Tant qu'on ne verra pas des rendements intéressants dans quelques entreprises pour montrer que le capital de risque est encore un placement intéressant, on va être un peu dans cette roue-là. On est dans un cycle de restructuration.»

Les activités de capital-risque génèrent en effet des pertes depuis au moins cinq ans à la BDC. Celles-ci ont atteint 74,1 millions en 2010, comparativement à 106,3 millions un an auparavant.

«Nous avons tous à faire des profits, c'est vrai. Mais si c'est une excuse pour ne pas faire de transactions, la BDC devrait confier son volet de capital-risque à quelqu'un d'autre», dénonce Mark McQueen.

«La BDC dépense trop d'énergie auprès de grosses entreprises qui ont accès à d'autres sources de capital, alors qu'il y a tellement de petites entreprises prometteuses qui ne peuvent trouver de financement», continue-t-il.

Suzanne Dingwall, avocate qui a longtemps travaillé en capital-risque et qui conseille aujourd'hui les entreprises en démarrage, parle aussi d'une «déconnection fondamentale» entre les actions de la BDC et le rôle que le milieu du capital-risque aimerait lui voir jouer.

«Je crois que la BDC s'est toujours considérée comme une banque traditionnelle», dit-elle, pointant qu'aucun membre de son conseil d'administration ne provient de l'industrie du capital-risque.