Le gouvernement du Québec veut mobiliser le milieu des affaires contre le projet fédéral de commission unique de valeurs mobilières, dont le dépôt législatif est imminent à Ottawa.

Selon le ministre des Finances, Raymond Bachand, le projet fédéral contrevient à la juridiction des provinces et compromet l'avenir même du secteur financier à Montréal, au profit de la centralisation vers Toronto.

En Cour d'appel

Le Québec et l'Alberta ont d'ailleurs amorcé des défis judiciaires contre le projet fédéral devant leur Cour d'appel respective, dont les auditions sont prévues à l'automne.

«Nous avons un système canadien qui fonctionne bien. On n'a pas besoin d'un système centralisé fait pour l'Ontario, dans l'intérêt de Toronto», a indiqué M. Bachand lors du lancement hier à Montréal d'une «coalition» d'affaires contre le projet fédéral.

Le ministre était flanqué du président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), Jean St-Gelais, et de la présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec, Françoise Bertrand.

Mais en dépit de l'adhésion d'entreprises comme Cascades, Quebecor et Jean Coutu, la composition initiale de cette coalition illustre l'inconfort que suscite le projet fédéral dans le milieu financier québécois.

D'ailleurs, les plus importantes entreprises québécoises de confection et de distribution de produits financiers préfèrent demeurer en marge de la mobilisation lancée par Québec.

Au Mouvement Desjardins, notamment, on indique vouloir favoriser «la concertation et la coopération plutôt que la confrontation» entre Ottawa et certaines provinces, dont le Québec. «Nous avons déjà manifesté notre appui envers le récent système de passeport règlementaire établi entre les commissions provinciales. Cela dit, Desjardins a aussi des ambitions pancanadiennes. Nous souhaiterons l'implantation d'un genre de parapluie national en matière financière, en respect des compétences provinciales», explique André Chapleau, principal porte-parole du Mouvement Desjardins.

«Mais, dans l'immédiat, pour éviter la confrontation et favoriser la concertation, nous souhaitons que le fédéral ne dépose pas son projet de loi bientôt et qu'on tente encore d'en venir à un compromis avec les provinces.»

À la Banque Nationale, dont la filiale boursière a pris du galon à Toronto ces dernières années, on préfère aussi s'abstenir de participer à la mobilisation de Québec contre le projet fédéral.

«Nous nous en remettons à l'Association des banquiers canadiens pour faire valoir notre point de vue. Nous faisons confiance aux autorités politiques et financières pour établir le régime réglementaire le plus convenable», indique Joan Beauchamp, porte-parole de la Nationale.

Par ailleurs, à la société Industrielle-Alliance, un assureur-vie de Québec devenu un gros fournisseur de fonds d'investissement, on confirme l'inconfort suscité par le projet fédéral de commission unique.

«Ce débat me semble de plus en plus politisé, au-delà des arguments sur la pertinence ou non de ce projet», déplore Pierre Payeur, directeur de la gestion de fonds à l'Industrielle-Alliance.

«Pour notre part, nous constatons les améliorations suscitées par le récent système de passeport entre les commissions provinciales. Toutefois, il y a encore beaucoup de chevauchements qui engendrent des coûts additionnels de gestion pour les firmes comme la notre qui font affaires dans plusieurs provinces.»

À Ottawa, le ministre des Ressources naturelles et lieutenant politique de Stephen Harper au Québec, Christian Paradis, a soutenu que la décision d'Ottawa de créer une commission canadienne des valeurs mobilières respecte la volonté d'une majorité de provinces.

«Il s'agit ici d'une approche volontaire. Or, la majorité des provinces veulent procéder avec une commission unique, mais on parle ici d'une approche volontaire. Deuxièmement, pour nous assurer que nous agissons dans nos sphères de compétences, nous renvoyons le tout à la Cour suprême pour être certains de la légitimité de la démarche. Toutefois, je veux être clair, c'est une approche volontaire et, aussi, c'est une démarche qui est saluée par l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) et le Fonds monétaire international», a dit le ministre.

Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a soutenu que la création d'une commission nationale siphonnera le Québec de son pouvoir économique. «Avec une commission pancanadienne, les autorités québécoises perdraient leur pouvoir de décision et d'influence dont profitent Montréal et toute l'économie québécoise», a-t-il dit, accusant les députés conservateurs de ne pas défendre les intérêts du Québec dans ce dossier.

Avec Joël-Denis Bellavance