Parti de zéro, Jean-Guy Desjardins a fait de TAL Gestion globale d'actifs la plus importante société de gestion indépendante du Canada. Et c'est à contrecoeur qu'il a vendu la firme en 2001.

Mais en moins de 10 ans, l'entrepreneur a réussi un doublé en fondant Fiera Capital qui est devenu un nouveau poids lourd de la gestion à Montréal.

Alors que l'esprit d'entrepreneuriat est plutôt rare sur la place financière montréalaise, Jean-Guy Desjardins, quant à lui, a toujours voulu se lancer en affaires. «Depuis l'âge de 17 ans, j'ai toujours voulu être le boss. C'était mon ambition. Tout ce que je faisais était en fonction de ça», raconte le président du conseil et chef de la direction de Fiera.

La petite histoire de TAL

Après des études en finances à l'École des Hautes études commerciales (HEC), Jean-Guy Desjardins débute sa carrière à la Compagnie d'assurances Sun Life. À titre d'analyste financier, il couvre le secteur de la technologie. «Je n'aimais pas ça. Je voulais être gestionnaire», dit-il.

Il rencontre alors Tom Timmins qui cherche quelqu'un pour gérer la fortune de sa famille qui s'élève à plus de 35 millions de dollars. Jean-Guy Desjardins lui suggère d'utiliser ces actifs comme base pour lancer une société de conseils en placement. La firme démarre en 1972.

Quand Tom Timmins se retire, en 1987, la société laisse tomber la dénomination Timmins et associé limité. «C'est devenu TAL. Pas plus scientifique que ça!» dit Jean-Guy Desjardins.

En 1994, TAL appuie sur l'accélérateur. Jean-Guy Desjardins veut devenir un gestionnaire d'envergure mondiale. Il signe une entente de distribution avec la Banque CIBC.

«Tu peux devenir un acteur important au Canada. Tu peux espérer le devenir aussi à l'échelle nord-américaine. Mais un joueur mondial? Je pense que c'est un peu utopique, sans avoir accès à un réseau de distribution comme celui d'une banque», explique Jean-Guy Desjardins.

Le partenariat avec la CIBC fonctionne. TAL devient le plus important gestionnaire indépendant au Canada, avec des actifs de 65 milliards, quelque 750 employés, des bureaux à travers le Canada et même à Genève et Hong-Kong.

«Une super belle entreprise!» lance Jean-Guy Desjardins. Tellement belle que les nouveaux dirigeants de la CIBC se mettent en tête de l'acheter au complet, à la fin de années 90.

La Banque possède alors 55% des actions de TAL, tandis que Jean-Guy Desjardins et une centaine d'employés en ont 45%. Par contre, les employés disposent de 51% des droits de vote, selon l'entente négociée en 1994.

Les employés ne veulent pas vendre, mais ils peuvent difficilement racheter la part de la Banque. Leurs moyens sont limités, par rapport à ceux de la CIBC. Après deux ans de négociations tendues, la Banque remporte le bras de fer. Elle achète le reste de TAL en 2001, dans le cadre d'une transaction de plusieurs centaines de millions.

 

Desjardins & Desjardins

Après la vente de TAL, Jean-Guy Desjardins prend quatre mois de pause. Mais bien vite, il décide de se relancer en affaires.

«J'ai décidé que je voulais deux choses. La première: repartir en business. Et la deuxième, avoir une autre famille», dit-il en pointant les nombreux cadres qui garnissent la salle de conférence attenante à son bureau, avenue McGill College. Sur l'une des photos, figurent ses fillettes de 4 ans et deux ans et demi.

Jean-Guy Desjardins veut repartir... mais pas de zéro, comme la première fois. Il attend donc une occasion d'achat. Rapidement, le Mouvement Desjardins l'approche. Monique Leroux, alors présidente de Desjardins Sécurité financière, cherche une façon de requinquer la filiale de gestion Elantis.

En 2003, Jean-Guy Desjardins s'engage dans un nouveau partenariat: Elantis devient Fiera Capital, qui est détenue à 70% par Jean-Guy Desjardins, et à 30% par le Mouvement Desjardins. Fiera hérite de 45 employés et d'environ 5 milliards d'actifs, dont une partie des fonds communs de la famille Desjardins.

«On a établi deux priorités. Faire de Fiera, qui était uniquement québécoise, une compagnie canadienne, en faisant des acquisitions. Parce que la croissance organique, ça prend du temps. Deuxièmement: développer des activités de gestion des fortunes privées, un beau créneau d'affaires», expose Jean-Guy Desjardins.

Il recrute de nouveaux talents. Pour les convaincre et les motiver, il leur offre une participation dans Fiera. «J'avais pris l'engagement de redistribuer 20% de mes actions à mes partenaires, au prix auquel je les avais payées à l'origine», dit-il.

Puis en 2005, Fiera se met le gros orteil à Toronto, en achetant Senecal Investment Conseil, une petite société de gestion, avec trois professionnels de la finance et environ 1 milliard d'actifs.

Quelques mois plus tard, Fiera fait un pas de géant sur Bay Street, avec l'acquisition de YMG Gestion des capitaux. Pour Jean-Guy Desjardins, c'est la candidate idéale: la société apporte une expertise en gestion d'obligations et de portefeuilles de compagnies d'assurances. Et surtout, elle lui donne une masse critique, en doublant pratiquement la taille de Fiera.

Cela mène aujourd'hui Fiera à près de 22 milliards d'actifs, dont plus de la moitié à l'extérieur du Québec. À Montréal, Fiera figure désormais parmi les plus grandes boîtes indépendantes de gestion, derrière Jarislowsky Fraser (47 milliards), Addenda Capital (33 milliards) et Lekto Brosseau (24 milliards).

 

La prochaine étape

Mais à 65 ans, Jean-Guy Desjardins est loin d'être à court de projets. Aujourd'hui, il veut redevenir un joueur majeur au Canada, avec 50 milliards d'actifs. «Ensuite, la prochaine étape, c'est les États-Unis, affirme-t-il. J'entrevois la possibilité d'ouvrir un bureau de distribution en 2012 au plus tard.»

Fiera Capital mijote aussi de nouveaux produits d'investissement. Par exemple, la firme a clôturé, en février dernier, l'émission d'un fonds de 175 millions baptisé Fiera Axium Infrastructure Canada, du nom de ses deux partenaires: Fiera et Gestion d'infrastructure Axium. Cette firme est sous la gouverne de Pierre Anctil, un ancien haut dirigeant de la firme d'ingénierie SNC-Lavalin.

Le fonds investira dans les projets existants ou en développement dans le domaine des transports, de l'énergie ou encore des infrastructures sociales. Par exemple, le fonds est impliqué dans le projet de centre de recherche du CHUM.

«Je pense que ça va être un grand succès. Et c'est un produit qui se vendrait très bien aux États-Unis», s'enthousiasme Jean-Guy Desjardins.

Rien ne semble pouvoir lui passer le goût du développement des affaires... pas même le poste de grand patron de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Il est vrai qu'il avait été pressenti pour succéder à Henri-Paul Rousseau. Certains ont dit qu'on lui aurait offert le poste, n'eut été de ses liens avec l'Action démocratique du Québec. «L'ADQ? Ce n'est pas sérieux! Je me suis mis à rire quand j'ai entendu ça», s'exclame Jean-Guy Desjardins. Il assure qu'il ne fait pas de politique, mis à part des contributions financières.

Non, la Caisse de dépôt, ce n'était tout simplement pas le bon «fit» pour un vendeur comme lui. Il admet avoir été tenté. Mais il n'était pas prêt à abandonner ses partenaires. «Je les ai amenés ici. Je leur ai vendu mon rêve, dit-il. Puis en cours de route, je leur dirais «bye» et je m'en irais? Ça ne marche pas!»

Et puis, la Caisse ce n'est pas une «business», où il faut travailler pour aller chercher des clients et les garder ensuite, où l'on doit développer des produits, construire des portefeuilles de placement.

«Étant un entrepreneur, ça n'aurait pas été la bonne place pour moi, affirme Jean-Guy Desjardins. Moi, je suis un gars de business.»