Citius, altius, fortius. Plus loin, plus haut, plus fort. Et plus cher, faudrait-il ajouter pour moderniser la devise olympique. Le budget du comité organisateur des Jeux de Vancouver est de 1,7 milliard de dollars, mais la facture totale atteindra 7,3 milliards selon nos calculs. Les gouvernements et organismes publics paieront 77% de la facture. Le jeu en vaut-il la chandelle? Les économistes se posent des questions, mais il faudra quelques années avant de trancher le débat olympico-économique de Vancouver.

À quelques jours des Jeux de Vancouver, l'économiste québécois Thomas Lemieux se laisse gagner par la frénésie olympique de sa ville d'adoption. Peut-être parce qu'il a obtenu des billets pour le premier match de hockey de l'équipe masculine du Canada. La bande à Sidney Crosby et Martin Brodeur devrait pulvériser la pauvre équipe norvégienne. «Ça ne risque pas d'être le meilleur match du tournoi, mais c'est un match du Canada», dit-il.

 

En dépit de son enthousiasme olympique, le professeur d'économie à l'Université de la Colombie-Britannique doute que les Jeux olympiques de 2010 soient bénéfiques pour l'économie canadienne. Peut-être pour l'économie de Vancouver, couverte de milliards de dollars au cours des quatre dernières années en prévision des Jeux, mais pas pour celle de l'ensemble du pays hôte.

«Je suis un peu sceptique, dit Thomas Lemieux. Le jeu n'en vaut pas véritablement la chandelle. Les Jeux seront bénéfiques pour les résidants de Vancouver car nous encaissons le chèque. Par contre, je ne suis pas sûr que le contribuable de Thunder Bay ou de Trois-Rivières en aura pour son argent...»

Plus de 4500 kilomètres à l'est de la ville hôtesse, l'économiste Philip Merrigan arrive aux mêmes conclusions. «Les Jeux ne sont pas une bonne affaire pour l'économie du pays hôte, mais c'en est une pour la ville-hôtesse qui profite de cette mine d'or», dit le professeur de l'UQAM spécialiste en économie du sport.

À première vue, le constat des deux économistes d'un bout à l'autre du pays peut sembler sévère. Après tout, le budget d'exploitation de 1,7 milliard de dollars du comité organisateur des Jeux provient à 95,5% de revenus privés - l'argent des commandites, des droits télé et de la vente de billets. Le gouvernement fédéral et celui de la Colombie-Britannique ont fourni 56 millions au comité organisateur. Les provinces ont ajouté 22 millions, dont 5 millions de la part du Québec.

Le gouvernement Charest dépensera 5 millions de plus pour financer les spectacles d'artistes québécois et ériger la Maison du Québec au centre-ville de Vancouver. L'investissement du gouvernement Charest représente une somme de 2,69$ par contribuable imposable québécois.

Des dépenses d'infrastructures onéreuses

Si Thomas Lemieux et Philip Merrigan sont sceptiques face aux retombées économiques des Jeux sur l'économie canadienne, c'est parce que les autres dépenses olympiques - nettement plus onéreuses - sont assumées presque exclusivement par les contribuables.

Le gouvernement fédéral et celui de la Colombie-Britannique ont payé seuls la construction des sites de compétition (580 millions), les mesures de sécurité (900 millions), la ligne de métro reliant l'aéroport au centre-ville (2 milliards), l'agrandissement du Centre des congrès de Vancouver (883 millions) et la réfection sur la route entre Vancouver et Whistler (600 millions). En incluant les projets d'infrastructures nécessaires à l'accueil des 250 000 visiteurs olympiques, la facture olympique se chiffre à 7,3 milliards de dollars.

Avec une facture de 2,175 milliards, le gouvernement de la Colombie-Britannique obtient la médaille d'or des bailleurs de fonds. Le gouvernement de Gordon Campbell prend en charge 30% des dépenses olympiques. Chaque contribuable imposable de la province paiera 1035$.

En deuxième position: le gouvernement fédéral, qui investira 2,117 milliards dans l'aventure olympique de Vancouver. La ministre olympique de la Colombie-Britannique trouve normal de refiler 29,1% de la facture olympique aux contribuables du reste du pays. «Les contribuables de la Colombie-Britannique ont payé une partie de la facture des Jeux de Montréal. Ce sont les Jeux de tout le pays et les Canadiens de partout au pays sont excités», dit Mary McNeil, la ministre d'État des Jeux olympiques de la Colombie-Britannique, en entrevue à La Presse Affaires.

Selon l'économiste Claude Montmarquette, le gouvernement fédéral fait bien d'acquitter une partie aussi importante de la facture olympique. «C'est une sorte d'assurance pour les autres provinces, dit le professeur de l'Université de Montréal. Les Jeux peuvent avoir lieu tantôt en Colombie-Britannique, tantôt en Alberta, tantôt en Ontario, tantôt au Québec.»

La ministre Mary McNeil estime que l'aventure olympique aura des retombées économiques de 4 milliards en Colombie-Britannique. «La visibilité internationale est difficile à quantifier, dit l'économiste Claude Montmarquette. Ce qui me rassure, c'est qu'il y a une forte concurrence internationale pour organiser les Jeux. C'est signe que les autres villes voient aussi une valeur économique à organiser cet événement.»

Bien sûr, la concentration de touristes olympiques - qu'ils soient spectateurs, athlètes, journalistes ou l'un des 110 membres du CIO - donnera un second souffle à une économie qui sort de la récession. Mais la Colombie-Britannique fait un pari à long terme avec les Jeux. «Nous avons la chance de montrer notre province à 3 milliards de personnes, dit la ministre Mary McNeil. Nous voulons en profiter au plan touristique pendant 10 ou 15 ans.»

Les souvenirs olympiques de Ralph Klein

S'il n'en tient qu'à Ralph Klein, Vancouver profitera de retombées olympiques durant des décennies. Pourquoi l'ancien premier ministre albertain s'intéresse-t-il au débat olympico-économique? Parce qu'il a été le maire olympique de Calgary en 1988. «Après les Jeux, je n'ai plus jamais eu besoin d'expliquer aux gens que je rencontrais à l'étranger où était située Calgary», dit-il.

Il faut dire que l'héritage des Jeux olympiques ne fait pas l'objet d'un grand débat à Calgary. Le Saddledome, construit pour les Jeux, sert toujours de domicile aux Flames. L'anneau de glace est devenu le repaire de l'équipe nationale de patinage longue piste. La piste de bobsleigh, de luge et de skeleton accueille des compétitions internationales chaque année. «Les Jeux ont été bons pour Calgary», dit Ralph Klein.

Il faut dire que le rêve olympique était moins coûteux - exactement trois fois moins - à l'époque de Ralph Klein. Le budget de 1,755 milliard du comité organisateur de Vancouver 2010 établira un nouveau record pour des Jeux d'hiver, 5 millionsCAN devant le budget de Turin 2006.

Selon l'économiste Thomas Lemieux, c'est beaucoup d'argent pour des retombées économiques aussi incertaines. «Il y aura des bénéfices futurs pour le tourisme, mais Vancouver est déjà pas mal sur la carte au plan touristique, dit le professeur de l'UBC. Et qui sait si, deux ou trois ans plus tard, les touristes viendront véritablement à Vancouver à cause des Jeux olympiques?»

Peu importe l'ampleur des retombées économiques, les Jeux ont changé pour toujours les habitudes des résidants de Vancouver. «La nouvelle ligne de métro a changé ma vie, dit la ministre olympique Mary McNeil. Je l'utilise chaque jour pour aller au bureau. C'est fantastique, on m'a enlevé de la route.»

Coût des Jeux par contribuable fédéral 138,78$*

Coût des Jeux par contribuable de la Colombie-Britannique 1035,00$*

Coût des Jeux par contr ibuable du Québec 2,69$*