Mercredi soir au Bymark, LE bar où les financiers de Bay Street se donnent rendez-vous après le travail, à l'ombre des grandes tours noires de la Toronto Dominion. Bière, vin, martinis et une odeur de cigare aident à décoincer un tant soit peu l'ambiance créée par les hommes aux complets rayés et les femmes aux sacs Louis Vuitton.

«C'est un peu plus calme que l'an dernier», explique un membre du personnel qui préfère ne pas être nommé. À 35$, le burger Bymark laisse maintenant un arrière-goût dans la gorge de certains. «Tu peux aller dans des endroits moins tape-à-l'oeil», explique Susan Thompson, qui s'occupe des relations avec les clients chez TD Valeurs mobilières, quand on lui demande si elle ou ses collègues ont changé leurs habitudes dans la dernière année en raison de la crise.

S'ils sont moins nombreux au Bymark, ce n'est pas parce que les bureaux des gratte-ciel qui entourent le bar sont clairsemés. Les plus récentes données de Statistique Canada ont ceci de surprenant: alors que les emplois ont été éliminés par dizaine de milliers dans la finance à New York et à Londres, l'Ontario s'en sort à merveille. Des 289 392 emplois des secteurs de la finance et de l'assurance que comptait la province en juin 2008, il en restait exactement 289 037 un an plus tard, soit une diminution de 355 postes. Pour les amateurs de statistiques, cela représente un maigre recul de 0,1%.

L'ensemble du Canada fait encore mieux, avec une progression de 2% à 673 049 jobs en juin de cette année. Un constat qui peut surprendre compte tenu de l'ampleur de l'inquiétude qui a gagné Bay Street l'automne dernier.

«J'ai vraiment eu la chienne», se rappelle Pat Meneley, lui qui conclut des fusions, des acquisitions ou des appels publics à l'épargne depuis 20 ans. Il était même derrière la vente avortée de BCE au consortium mené par Teachers'.

Il y a un an, le vice-président du conseil, Services bancaires de placement chez TD Valeurs mobilières, était de passage à Vancouver quand il est tombé sur la conférence de presse annonçant le rachat de Merrill Lynch par Bank of America. Une entente conclue en une fin de semaine, c'était trop rapide pour celui qui connaît les rouages du secteur. Le minimum, dit-il, c'est six semaines. «Ça voulait dire que la situation était pire que ce qu'on nous disait.»

La frousse a été telle qu'il se réveillait en plein milieu de la nuit, lui qui a pourtant l'habitude de dormir comme un loir. «Je n'avais pas peur pour ma sécurité personnelle, je craignais pour celle du monde.»

Un an et quelques cadavres financiers plus tard au sud de la frontière, M. Meneley a retrouvé le sommeil. La crainte a fait place à la stabilité, puis a laissé apparaître des occasions d'affaires. «Il y a deux semaines, on a connu notre semaine la plus occupée», dit-il, donnant en exemple des émissions de Barrick Gold (3 milliards) et Fairfax (1 milliard).

«On est facilement de retour au niveau de 2007 (...) Il y a de bonnes sommes d'argent dans le marché.»

Sa collègue Susan Thompson est moins enthousiaste. Elle parle d'un climat «prudemment optimiste» sur Bay Street. «C'est mon opinion personnelle et le sentiment que je ressens», précise celle qui peut parler une dizaine de fois dans la journée avec un client qui veut effectuer des transactions ou simplement comprendre ce qui se passe.

La journée de notre rencontre, par exemple, elle devait leur expliquer pourquoi la Ville de Montréal avait offert aux enchères ses dernières obligations. Une manoeuvre inhabituelle, précise-t-elle.

Outre le fait d'aller dans des restos et des bars moins tape-à-l'oeil, qu'est-ce qu'elle et ses collègues ont appris dans la dernière année, celle qui a failli voir le système financier s'écrouler? «S'assurer d'avoir le bon compromis entre le risque et le rendement», dit-elle.