Les multinationales étrangères qui investissent au Canada sont beaucoup moins imposées que leurs concurrentes en sol canadien. Voilà l'une des aberrations relevées dans une étude de deux éminents chercheurs.

L'étude, rendue publique récemment, a été commandée dans la foulée d'une politique de lutte contre les paradis fiscaux du ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty. Pour analyser la situation, le ministre a formé un comité d'experts venu du secteur privé, appelé Groupe consultatif sur le régime canadien de fiscalité internationale.

 

Le rapport des chercheurs Duanjie Chen et Jack M. Mintz décortique les taux réels d'imposition des multinationales qui font une acquisition ou investissent au Canada. Il constate, entre autres, que l'utilisation de paradis fiscaux permet aux multinationales de bénéficier de taux réels d'imposition beaucoup plus faibles que les entreprises canadiennes.

Par exemple, une firme du Royaume-Uni qui fait une acquisition au Canada paiera un taux d'imposition réel de 11,4% sur son gain en capital, comparativement à 24,4% pour une entreprise canadienne. Les taux sont de 10,7% pour les firmes australiennes, de 14,7% pour les entreprises allemandes et de 15,9% pour les multinationales suédoises.

Mais il y a pire: dans le cas d'une entreprise américaine qui investit au Canada, le taux est même négatif (-3,3%), selon l'étude. Autrement dit, l'investissement au Canada est fiscalement payant pour une firme américaine!

Alcan, Inco, le Canadien...

Même si elle ne mentionne aucun cas particulier, l'étude donne froid dans le dos quand on pense aux nombreuses firmes canadiennes qui sont passées en mains étrangères ces dernières années.

À ce titre, mentionnons Alcan, Inco ou même le Canadien de Montréal. Dans de tels cas, des entreprises canadiennes qui auraient voulu surenchérir se seraient probablement battues avec des armes fiscales inégales.

Cette différence dans les taux est possible grâce à l'utilisation d'un stratagème qui permet aux multinationales de déduire deux fois les intérêts d'un emprunt contractés pour investir. Le stratagème de double déductibilité des intérêts utilise généralement un paradis fiscal. Les auteurs ont basé leurs exemples sur des investissements réalisés par l'entremise de la Barbade, des Pays-Bas, de Hong-Kong et de la Suisse.

Dans le milieu de la fiscalité, néanmoins, certains fiscalistes nous ont expliqué que cette double déductibilité est possible même sans utiliser un paradis fiscal.

En mai 2007, le ministre des Finances, Jim Flaherty, avait clairement indiqué son intention de mettre fin à cette «échappatoire fiscale». Un article de loi (18.2) avait même été adopté à cette fin. Toutefois, le ministre s'est finalement rangé aux conclusions du Groupe consultatif et abrogé l'article 18.2 dans son budget de janvier dernier.

Selon les conclusions du Groupe, cet article aurait nui aux multinationales qui investissent hors Canada par rapport à leurs concurrentes étrangères.

D'ailleurs, l'étude note que la double déductibilité permet de réduire significativement le taux d'imposition sur le gain en capital des multinationales canadiennes à l'étranger. Par exemple, pour un investissement aux États-Unis, ce taux passe de 31% à quelque 16,8%.

Ce taux de 16,8% est inférieur à celui des multinationales anglaises (17%), allemandes (19,9%) ou suédoises (21,3%), mais supérieur à celui des australiennes (15,4%).

Ce niveau d'imposition à l'étranger amène un autre constat troublant: les entreprises canadiennes ont avantage à investir à l'étranger plutôt qu'au Canada. L'utilisation de la double déductibilité et des paradis fiscaux ramène en effet les taux sous le niveau canadien (24,4%).

C'est le cas des investissements faits au Royaume-Uni (7%), au Brésil (20,2%), aux États-Unis (16,8%) et même en France (21,8%). En Irlande, le taux devient négatif (-22%), tandis qu'il est supérieur en Chine (34,1%).

En fait, disent les chercheurs, pratiquement tous les pays vivent cette distorsion que créé la double déductibilité des intérêts. Les auteurs avertissent que le stratagème «confère des avantages fiscaux à des entreprises qui ne sont pas nécessairement les plus efficientes sur le plan économique».

Le problème, c'est qu'il est très difficile de faire autrement et de créer des règles équitables «puisqu'aucun gouvernement n'a de contrôle sur ce que font les autres pays».

Jack Mintz est celui qui avait sonné l'alarme sur la double déductibilité en 1997. À l'époque, le rapport du groupe qu'il présidait concluait qu'il fallait éliminer la double déductibilité au Canada. Cette fois, les auteurs ne prennent pas position, mais notent que la réduction des taux d'imposition des sociétés au Canada d'ici 2012 aidera à diminuer les distorsions. Les iniquités demeureront tout de même «considérables», concluent-ils.