Aux yeux de la Banque du Canada, la rapide appréciation du huard peut compromettre ses efforts d'assouplissement du crédit et entraver la relance économique qui paraît maintenant plus crédible, voire proche.

En reconduisant sans surprise hier son taux directeur à son niveau plancher de 0,25% la Banque a émis ce commentaire qui a fait beaucoup jaser les observateurs, mais laissé les cambistes de glace: «Si l'appréciation du dollar canadien à une cadence sans précédent (laquelle découle à la fois du renchérissement des produits de base et de la faiblesse généralisée de la devise américaine) devait persister, elle pourrait entièrement neutraliser» les aspects positifs de l'amélioration des conditions financières, des cours des produits de base et annihiler la confiance accrue des ménages et des entreprises.

Après avoir touché à trois reprises un plancher de 77 cents US d'équivalence, notre monnaie a entrepris une forte remontée. Depuis deux semaines, elle se négocie au-dessus des 90 cents US.

Cela reflète autant un retour du balancier, après une trop soudaine dépréciation survenue avec la crise du crédit que la remontée des prix des produits de base et du pétrole en particulier auxquels notre monnaie est fortement corrélée.

La poussée de plus de 2$ du baril d'or noir l'a d'ailleurs fait grimper à nouveau hier de 95 centièmes. Il s'échangeait contre 91,17 cents US.

La force relative du huard s'appuie cependant avant tout sur la faiblesse du billet vert américain qui se déprécie contre toutes les autres monnaies.

La valeur de la nôtre ne reflète donc pas la force de l'économie canadienne, ce qui inquiète nos autorités monétaires. «La Banque ayant fait ses projections de croissance et d'inflation à partir d'un huard à un niveau clairement inférieur (80 cents US), cela constitue un risque additionnel qu'elle doive revoir ses projections au cours des prochains mois», note Martin Lefebvre, économiste principal chez Desjardins.

En s'étant engagée à maintenir son taux directeur jusqu'à la fin de juin 2010 afin que la cible d'inflation de 2% puisse être atteinte, la Banque a peut-être stimulé le huard sans le vouloir.

En ne donnant aucune nouvelle indication qu'elle pourrait recourir à des mesures non traditionnelles d'allégement monétaire telles que l'achat d'une partie de la dette fédérale ou de titres de crédit émis par des sociétés, elle lui a peut-être donné un autre coup de pouce. Pareilles initiatives non conventionnelles auraient augmenté la masse monétaire avec pour effet d'affaiblir le huard.

En principe du moins, mais ce n'est pas automatique.

Le billet vert se déprécie depuis que la Réserve fédérale a annoncé son intention d'acheter des obligations du gouvernement américain, mais la livre sterling n'a pas faibli face au dollar même si la Banque d'Angleterre achète en proportion davantage de dette britannique.

«Si le huard continue de monter au point de menacer les perspectives à moyen terme pour l'économie canadienne, la Banque du Canada pourrait avoir des motifs de menacer de recourir à la détente quantitative, plaident Paul-André Pinsonnault et Stéfane Marion de la Financière Banque Nationale. Malgré l'essor du dollar canadien, nous continuons de penser que le scénario de reprise économique reste conforme aux prévisions et que la détente quantitative ne sera pas nécessaire.»

La Banque s'en tient toujours à son scénario économique d'avril qui prévoit une contraction de 3% de l'économie cette année, suivie d'un retour à la croissance de 2,5% l'an prochain.

Pour le premier trimestre, la Banque avait prévu un recul du PIB de 7,3%. Il a été contenu à 5,4%.

Ces résultats moins médiocres que prévu conduisent Scotia Capitaux à modifier sa prévision: la décroissance sera contenue à 2,2% cette année, et la reprise sera assez robuste dès l'automne. «La composition de la croissance va grandement refléter la demande grandissante de ressources par les économies émergentes ainsi que l'amélioration de la demande intérieure», selon Warren Jestin et Aron Gampel, économistes chez Scotia.

L'institution croit que la Banque du Canada sera forcée de majorer son taux directeur dès l'hiver et qu'il atteindra 2% à la fin de l'an prochain. Elle voit le huard et le billet vert à parité à la fin de 2010.

Les nouvelles prévisions des autorités monétaires canadiennes seront publiées le 23 juillet dans la nouvelle mouture du Rapport sur la politique monétaire.