Industries Fournier a déjà cinq contrats potentiels sur la glace, et le fabricant pourrait bientôt faire une croix sur un sixième. Un des produits majeurs de l'entreprise de Thetford Mines n'est plus dans les bonnes grâces des Américains depuis l'adoption du plan de relance économique et de la clause Buy American, qui commence à frapper durement les exportateurs canadiens.

Industries Fournier a mis au point une technologie spécialisée de pressoir rotatif, qui permet de séparer les solides des liquides dans les systèmes de traitement des eaux usées. Environ 90% de la clientèle pour ce produit appartient au monde municipal américain.

Or, la clause Buy American impose aux municipalités et aux États américains d'utiliser, pour les projets financés par le plan de relance, de l'acier, du fer et des produits manufacturés fabriqués aux États-Unis.

Cette disposition protectionniste, qui frappe notamment le secteur de l'acier, commence à se répandre dans d'autres projets de loi américains, comme le Water Quality Investment Act, qui s'applique aux systèmes d'assainissement des eaux.

Pour les contrats donnés au niveau municipal ou au niveau des États, ni l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) ni l'Organisation mondiale du commerce n'offrent de protection pour les entreprises canadiennes.

«Lorsqu'on reçoit une note comme quoi notre technologie a été retenue, on nous demande si notre produit sera conforme au Buy American», explique Harold Roy, vice-président et directeur général d'Industries Fournier.

L'entreprise, «qui a mis au point ce produit depuis 20 ans, qui s'est forgée une efficacité de fabrication au Québec avec des équipements spécialisés», est obligée de répondre par la négative. Au grand dam de la cinquantaine d'employés qui travaillent à ce produit.

Des centaines d'entreprises canadiennes sont ainsi frappées par le Buy American.

Le fabricant d'équipement d'assainissement des eaux Hayward Gordon, dans la banlieue ouest de Toronto, est dans le même bateau. Environ les trois quarts de sa production de pompes sont destinés au marché américain.

«Nous avons une toute nouvelle usine ici, explique le président John Hayward, en entrevue à La Presse Affaires. On doit maintenant regarder comment on pourrait construire aux États-Unis.»

De retour de Pennsylvanie, où il visitait des installations qui pourraient accueillir temporairement la production, M. Hayward précise toutefois que s'installer aux États-Unis «serait très difficile pour nous à long terme, très coûteux».

Représailles

À Halton Hills, la ville où est située l'usine d'Hayward Gordon, le conseil municipal a répondu aux appels des manufacturiers, qui tentent par tous les moyens de pousser les Américains à faire demi-tour.

La ville a adopté une résolution d'appui aux manufacturiers. D'autres municipalités ont suivi.

Au congrès de la Fédération canadienne des municipalités (FCM), cette fin de semaine, les représentants discuteront d'une résolution demandant aux municipalités du pays de revoir leur politique d'achat et de se procurer seulement des produits et matériaux produits par des pays qui n'imposent pas de restrictions commerciales contre les produits canadiens (ce qui exclurait les États-Unis).

Ces représailles inquiètent certaines entreprises américaines. Le Financial Times rapportait hier matin le cas d'un exportateur du Texas qui craignait l'escalade des représailles, ce qui représenterait à terme des baisses d'emplois dans son entreprise.

Dans une lettre au président Obama la semaine dernière, le président de la Chambre de commerce des États-Unis indiquait que dans le seul secteur des infrastructures d'aqueducs et d'égouts, les entreprises américaines pourraient perdre 3 milliards de dollars des suites de représailles canadiennes.

John Hayward, membre actif des Manufacturiers canadiens contre le protectionnisme, espère que la FCM adoptera la résolution, même s'il ne souhaite pas de guerre commerciale. «On veut que le problème soit réglé. On veut accélérer les discussions.»

«C'est dommage qu'on en soit là, mais il faut se servir de cela pour mettre de la pression sur le gouvernement américain», dit Jean-Michel Laurin, vice-président aux affaires mondiales des Manufacturiers et exportateurs canadiens.

Un tsunami

Harold Roy, de son côté, souligne aux politiciens l'urgence d'agir. Il leur demande de mettre toutes les énergies pour régler ce problème. «Il faut trouver une solution, sinon c'est un tsunami qui s'en vient.»

Lundi, le ministre du Développement économique et des Finances du Québec, Raymond Bachand, a reconnu le problème. Il en a déjà discuté avec le ministre fédéral du Commerce international, Stockwell Day.

Ce dernier présentera d'ailleurs une allocution devant la Chambre de commerce du Canada aujourd'hui à l'occasion de la Journée du commerce international. Il devrait évoquer les priorités du Canada en la matière.

Gageons que les manufacturiers exportateurs seront tout ouïe.