Le constat est sans équivoque : les investissements en recherche et développement reculent au Canada, alors qu'ils progressent dans plusieurs autres pays. Une situation qui vient miner la productivité du pays. Du milieu universitaire à l'industrie en passant par ceux qui font le pont entre les deux, La Presse Affaires est allée prendre le pouls du milieu de la recherche.

Si jamais vous croisez Albert de Luca, associé au service de fiscalité et programmes incitatifs chez Samson Bélair Deloitte et Touche, n'allez surtout pas lui dire que le Canada est un pays de ressources naturelles et qu'il est normal qu'il innove moins que les autres.

 

« Si le Canada doit se trouver un créneau, ce ne doit pas être dans les matières premières comme on l'entend trop souvent, dénonce M. Luca. Ce qu'il faut faire, c'est prendre la richesse qui découle des matières premières et l'investir en innovation. «

« Malheureusement, déplore le spécialiste, je ne vois pas d'indices qu'on fait ça. «

Ce n'est pas le dernier rapport de Statistique Canada sur la recherche et le développement industriels qui viendra le réconforter.

Le document nous apprend que le Canada investit moins que la plupart des autres pays de l'OCDE en recherche et développement. Et que loin de pédaler pour rattraper les autres, il est en train de ralentir le rythme.

Le Canada n'a investi que 1,06 % de son produit intérieur brut en R&D en 2006, la dernière année pour laquelle on peut établir des comparaisons internationales. C'est à des années-lumière de ce qu'investissent des pays comme la Suède (2,79 % du PIB), le Japon (2,62 %) ou la Corée (2,49 %). Et c'est presque 50 % de moins que la moyenne des pays de l'OCDE, qui s'établit à 1,56 % du PIB.

Entre 2006 et 2007, la R&D industrielle a reculé de 3 % en dollars constants, ce qui représente la quatrième baisse consécutive des investissements. En fait, selon un groupe d'experts qui vient de dévoiler un rapport sur l'innovation, la R&D des entreprises canadiennes a reculé de 20 % par rapport au PIB depuis le sommet atteint en 2001 pendant la bulle technologique.

« C'est une situation qui va finir par nous rattraper, avertit M. de Luca. Le risque est augmenté par le fait que d'autres pays nous concurrencent avec plus de moyens. Quand les investissements commencent à diminuer, il y a un risque d'engendrer une spirale qui devient difficile à arrêter. «

Les multinationales jettent l'éponge

Pour M. Luca, une partie du problème vient du fait que le Canada est de plus en plus un pays de multinationales contrôlées de l'étranger. Environ le tiers de la R&D industrielle effectuée au pays est réalisée par des entreprises étrangères. Et Statistique Canada montre que ce sont ces multinationales qui freinent leurs investissements en R&D au pays.

Année après année, les entreprises canadiennes investissent en effet une plus grande proportion de leurs revenus en recherche et développement que les entreprises étrangères. Et l'écart se creuse. En 2002, les entreprises canadiennes avaient investi 2 % de leurs revenus en recherche, contre 1,7 % pour les entreprises étrangères. Quatre ans plus tard, les canadiennes avaient maintenu leur pourcentage à 2 %, tandis que celui des étrangères avait chuté à 1,4 %.

Cette tendance, M. de Luca l'avait déjà décelée en interrogeant les dirigeants des multinationales établies au Canada.

« Les compagnies qui appartiennent à des groupes étrangers ont tendance à investir dans des technologies plus traditionnelles et moins avant-gardistes au Canada. Ce que ça implique, c'est qu'au moment où les produits existants deviendront dépassés et qu'il faudra passer à d'autres plateformes, le Canada n'aura peut-être pas les connaissances pour pouvoir assumer ces responsabilités. «

La cause? « Des pays à faibles coûts comme l'Inde ou la Chine investissement énormément en innovation. C'est clair qu'il y a un transfert «, dit le spécialiste, qui aimerait voir une série d'annonces en innovation de la part des gouvernements comme on en voit actuellement pour les dépenses en infrastructures.

« Envoyer les messages clés, faire les bonnes annonces, créer un engouement. Les gens sous-estiment les effets des annonces, dit M. Lucas. Oui, actuellement, je vois noir dans ce dossier. Je pourrais couper les cheveux en quatre et me mettre à trouver des choses positives. Mais la réalité, c'est que si on ne fait pas attention, on risque de perdre la partie. «